(Addis Abeba) Des soldats érythréens bloquent et pillent de l’aide alimentaire au Tigré, faisant craindre une famine dans cette région du nord de l’Éthiopie en proie à la guerre, selon des documents du gouvernement éthiopien obtenus par l’AFP.

Début novembre, le premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a envoyé l’armée fédérale au Tigré pour arrêter et désarmer les dirigeants du parti à la tête de la région, le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) qui a longtemps dominé la politique éthiopienne.

M. Abiy avait promis que les combats s’achèveraient rapidement.  

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L’Érythrée, un des pays les plus petits d’Afrique, a une des plus grosses armées, dit l’ONG Human Rights Watch.

Mais alors que la guerre se prolonge, le « désastre humanitaire » s’aggrave, a affirmé lundi le secrétaire d’État américain Antony Blinken, relayant l’inquiétude de la communauté internationale, notamment sur l’implication des troupes érythréennes au Tigré.

Ces inquiétudes se sont reflétées ce mois-ci dans plusieurs présentations faites par le Centre de coordination d’urgence du gouvernement intérimaire au Tigré, nommé par M. Abiy, à destination d’organisations humanitaires, et dont l’AFP s’est procuré des copies.  

Travailleurs humanitaires ciblés

La plus récente, datée du 23 avril, affirme que des soldats érythréens ont chassé des travailleurs humanitaires distribuant de l’aide alimentaire de plusieurs endroits du Tigré, dont les zones de Samre et de Gijet, au sud de la capitale régionale Mekele.  

Elle ajoute que les soldats érythréens ont commencé à se rendre à des points de distribution au Tigré, pillant la nourriture après que les bénéficiaires « ont pris peur et se sont enfuis ».

Un responsable du gouvernement intérimaire, qui a pris part à la présentation du 23 avril, a par ailleurs déclaré à l’AFP, sous couvert d’anonymat, que des travailleurs humanitaires étaient frustrés de ne pouvoir accéder à certaines zones.

« Certains membres d’ONG pleuraient face aux refus systématiques […] Certains criaient, pleuraient, parce qu’ils n’avaient plus d’espoir », a-t-il dit, ajoutant que les responsables gouvernementaux qui coordonnent l’aide d’urgence étaient aussi à bout.

Malgré les témoignages d’habitants, de diplomates et même de certains responsables civils et militaires locaux, l’Éthiopie et l’Érythrée ont pendant des mois nié la présence de troupes érythréennes au Tigré.  

Fin mars, le premier ministre éthiopien a finalement admis leur présence et annoncé peu après qu’elles allaient se retirer.  

Lundi, lors d’une conversation téléphonique avec Ahmed Abiy, Anthony Blinken a à nouveau réclamé leur départ, estimant qu’elles « contribuent au désastre humanitaire croissant ».

Le ministre érythréen de l’Information Yemane Gebremeskel a nié les accusations de blocages ou de pillages de l’aide. « Il est impossible que l’Érythrée bloque de l’aide humanitaire ou la pille », a-t-il écrit mardi dans un courriel à l’AFP.

Le général éthiopien Yohannes Gebremeskel Tesfamariam, responsable d’un poste de commandement au Tigré, a déclaré mardi à l’AFP qu’au cours des « deux dernières semaines, nous avons eu des problèmes d’accès pour passer des barrages (routiers), notamment ceux contrôlés par les Érythréens », citant en exemple un carrefour important entre les villes d’Adigrat et d’Aksoum.

« Nous avons envoyé nos équipes parler avec les commandants érythréens de ce barrage. Nous attendons toujours la réponse », a poursuivi M. Yohannes.

Faim

Les documents du gouvernement intérimaire au Tigré obtenus par l’AFP font également état de blocages d’aide alimentaire par des forces de la région éthiopienne de l’Amhara qui revendique certains territoires de l’ouest et du sud du Tigré.

Selon la présentation du 23 avril, cinq zones du sud du Tigré font face à « une situation très critique et nécessitent une aide alimentaire immédiate ». Elles sont sous contrôle des forces amhara -également intervenues dans le conflit au côté de l’armée fédérale éthiopienne- qui entravent le transport de l’aide alimentaire, y est-il écrit.

L’une de ces zones, Ofla, a été citée le 16 avril devant le Conseil de sécurité de l’ONU par son secrétaire général adjoint pour les Affaires humanitaires, Mark Lowcock, qui a affirmé que 150 personnes étaient en train d’y mourir de faim.  

Dans une présentation du gouvernement intérimaire au Tigré datée du 9 avril, on peut lire qu’à Ofla « environ huit personnes sont mortes en raison de la faim. »

Les combats au Tigré ont perturbé les récoltes dans une région qui était déjà en proie à l’insécurité alimentaire.  

Le gouvernement de M. Abiy a assuré mi-avril que personne n’était mort de faim pendant la guerre.  

Abiy Ahmed a remporté en 2019 le prix Nobel de la paix, principalement pour le rapprochement qu’il a initié avec le président érythréen Issaias Afeworki, mettant fin à un conflit larvé qui perdurait entre ces deux pays depuis la sanglante guerre qui les a opposés de 1998-2000.  

Cette guerre s’est déroulée alors que le TPLF, parti représentant la minorité tigréenne, détenait tous les leviers de pouvoir à Addis Abeba, et celui-ci reste l’ennemi juré de M. Issaias.