Les ressources naturelles du Groenland suscitent la convoitise des États-Unis et de la Chine, qui multiplient les initiatives pour courtiser le gouvernement local et sa population de 56 000 habitants.

La rivalité entre les deux superpuissances est alimentée notamment par les réserves massives de terres rares de ce territoire semi-autonome de plus de 2 millions de kilomètres carrés, devenues un enjeu géostratégique de premier plan.

L’ex-président américain Donald Trump avait mis leur importance en relief en 2019 en annonçant qu’il voyait d’un bon œil la possibilité que son pays « achète » le Groenland, suscitant le rire d’observateurs intrigués et la consternation des autorités danoises, dont relève ultimement l’île malgré l’autonomie accordée en 1979.

« Nous sommes ouverts pour les affaires, mais nous ne sommes pas à vendre », avait indiqué le gouvernement local chapeauté par le Siumut, une formation sociodémocrate.

Un projet jugé « dangereux »

La question de l’exploitation des ressources naturelles était aussi au cœur des élections tenues mardi et remportées par Inuit Ataqatigiit, un parti de gauche écologiste ayant fait campagne contre le développement d’un projet minier controversé dans le sud du territoire.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Le projet de Kvanefjeld, défendu par une firme australienne soutenue par des capitaux chinois, est jugé trop dangereux sur le plan environnemental par la formation, notamment parce qu’il risque de mener à la production de déchets radioactifs.

Le chef d’Inuit Ataqatigiit, Mute Egede, qui est âgé de 34 ans, a entrepris des négociations avec de plus petites formations pour obtenir la majorité, condamnant potentiellement du même coup le projet.

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Mute Egede, chef du parti de gauche écologiste Inuit Ataqatigiit

Mikaa Mered, un universitaire rattaché à SciencesPo Paris, a indiqué à l’Agence France-Presse mercredi que la population avait envoyé lors du scrutin un message « très clair » indiquant qu’elle n’accepte pas que l’environnement soit sacrifié au nom du développement économique.

Dwayne Ryan Menezes, qui dirige un groupe de recherche anglais sur l’Arctique, note que le revers de Siumut ne signifie pas que les grands projets miniers sont voués à l’abandon au Groenland.

Tous les partis, dit-il, s’entendent sur le fait que l’exploitation des ressources naturelles est nécessaire pour favoriser l’autonomie économique de l’île, qui dépend toujours du Danemark pour plus du tiers de son budget.

Tenir tête à Pékin

La situation représente, selon M. Menezes, une occasion à saisir pour les États-Unis et des pays alliés comme le Canada qui cherchent une façon de réduire leur dépendance envers la Chine en matière de terres rares.

Le géant asiatique est actuellement responsable de près de 60 % de la production dans ce domaine, détient près de 40 % des réserves mondiales connues et assure la transformation de près de 95 % du minerai recueilli sur la planète.

« La Chine est à la fois le plus grand producteur, consommateur, transformateur, exportateur et importateur de terres rares », relève M. Menezes, qui juge la situation intenable sur le plan sécuritaire pour les pays occidentaux.

Les métaux des terres rares représentent un composant essentiel de nombreux produits de consommation électroniques et d’outils médicaux, mais aussi un élément incontournable de nombreux appareils utilisés dans le secteur de la défense, notamment des avions de combat.

Pékin pourrait chercher à l’avenir à restreindre l’accès aux terres rares pour affaiblir ses adversaires en cas de crise, note l’analyste, qui juge le risque trop élevé pour les États-Unis et les autres pays membres de l’alliance sécuritaire des Five Eyes (Canada, Grande-Bretagne, Australie et Nouvelle-Zélande).

Le ministre canadien de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, a indiqué la semaine dernière en entrevue avec l’agence Bloomberg que les pays partenaires de l’alliance devaient intensifier leur collaboration dans plusieurs domaines, dont celui des « minerais critiques », pour pouvoir ultimement tenir tête à Pékin.

Les États-Unis dans la course

La Chine, qui voit une occasion de renforcer sa position dominante sur le marché des terres rares, cherche à multiplier ses investissements au Groenland dans les infrastructures gouvernementales locales.

Une firme de construction chinoise a notamment soumissionné pour développer le système aéroportuaire, précipitant une intervention des autorités danoises, apparemment sous la pression des États-Unis.

L’administration Trump a annoncé pour sa part, l’année dernière, une aide économique de plusieurs millions de dollars devant notamment servir au développement des activités minières.

M. Menezes note que le pays peut aussi miser sur la présence au Groenland de sociétés minières du Canada, de la Grande-Bretagne et de l’Australie qui détiennent, dit-il, la part du lion des licences d’exploitation accordées par le gouvernement local.

Leur expertise, relève l’analyste, doit être partagée avec les autorités pour soutenir les efforts de développement des activités minières dans l’île et un programme de soutien économique devrait suivre pour faciliter le financement de nouveaux projets d’exploitation.

« Il faut fournir des avantages substantiels parce qu’on ne peut pas s’attendre à ce que des pays limitent leurs options simplement pour satisfaire les demandes des États-Unis et du monde occidental », relève M. Menezes.