(Jalalabad) L’indignation, la colère et l’effroi étaient une nouvelle fois partagés mercredi en Afghanistan, où ont eu lieu les funérailles de trois jeunes femmes employées d’une chaîne de télévision, assassinées la veille.

Étudiantes âgées de 17 à 21 ans, les trois victimes travaillaient à temps partiel au sein du service de doublage de la chaîne locale Enekaas TV à Jalalabad (est). Elles ont été tuées par balles dans deux attaques séparées, alors qu’elles venaient de quitter leur bureau pour rentrer chez elles à pied.

« J’ai perdu ma sœur. Je l’enterre aujourd’hui avec tous ses rêves. Elle voulait aller à l’université, étudier le droit… », a déclaré à l’AFP Rohan Sadat, le frère de Sadia Sadat, l’une des victimes, lors de l’enterrement à Jalalabad.

« Je ne sais pas pourquoi les militants ciblent des jeunes femmes innocentes », a également réagi Mohammad Nazif, un cousin de Nadia Sadat.

Les femmes ciblées

À tout juste 18 ans, elle avait rejoint Enekaas TV « pour gagner de l’argent et soutenir sa famille » qui était « très contente qu’elle travaille à la télévision », a raconté M. Nazif à l’AFP.

Les femmes, dont les droits fondamentaux étaient bafoués du temps des talibans, au pouvoir à Kaboul entre 1996 et 2001, ont été lourdement frappées par ces attaques.

Certains voient dans ces menaces envers les femmes une réponse aux demandes formulées dans le cadre du processus de paix pour que leurs droits soient mieux respectés.

« Horrible. La communauté des médias afghans a trop souffert. Les femmes afghanes ont été ciblées et tuées trop souvent […] Cela doit cesser. Arrêtez de tuer les civils et détruire l’avenir de l’Afghanistan », a réagi sur Twitter Shaharzad Akbar, la cheffe de la Commission indépendante des droits humains, résumant la tonalité sur les réseaux sociaux.

« Ces attaques visent à intimider […] Les coupables tentent d’entraver la liberté d’expression dans un pays où les médias se sont épanouis ces 20 dernières années », a aussi regretté l’ambassade américaine.

« Peur omniprésente »

Les assassinats ciblés de journalistes, juges, médecins, personnalités politiques ou religieuses, et défenseurs des droits, sont devenus de plus en plus fréquents ces derniers mois en Afghanistan.

Ces meurtres ont semé la terreur dans le pays et incité des membres de la société civile à se cacher ou s’exiler.

Les médias, Enekaas TV en particulier, ont payé un lourd tribut. Début décembre, une présentatrice de la chaîne, Malalai Maiwand, avait déjà été tuée par balles avec son chauffeur à Jalalabad, en se rendant à son bureau.

Au moins neuf employés de médias ont été assassinés depuis le début novembre, selon le Comité pour la protection des journalistes afghans (AJSC).

Dans son rapport annuel publié en début d’année, l’AJSC estimait que ces violences avaient créé un sentiment de « peur omniprésente » et que l’autocensure s’était « largement répandue » parmi les journalistes afghans.

Trois filles innocentes ont été tuées en plein jour dans le centre de la ville. Personne n’est plus sécurité.

Un collègue des trois employées assassinées, qui a parlé sous couvert d’anonymat.

« Mais nous continuerons à nous battre contre l’ignorance. Je demande juste aux talibans pourquoi ils nous tuent », a-t-il déclaré à l’AFP. « Le gouvernement doit aussi prendre la sécurité des journalistes au sérieux ».

Cette vague de meurtres a coïncidé avec l’ouverture en septembre à Doha de négociations de paix entre les talibans et le gouvernement afghan, destinées à mettre fin à deux décennies de guerre.

État islamique ou talibans ?

Le groupe État islamique (EI) a revendiqué la double attaque de mardi, comme d’autres auparavant.  

Mais le gouvernement afghan et les États-Unis continuent à imputer la responsabilité de ces assassinats ciblés aux talibans, même si ceux-ci rejettent fermement cette accusation.

Les services secrets afghans soupçonnent le réseau Haqqani,  un groupe sanguinaire lié aux talibans et qui réalise leurs opérations les plus complexes, d’être derrière ces meurtres.

Ils estiment que les talibans se satisfont fort bien de voir l’EI, qui bien qu’affaibli ces dernières années maintient une présence dans l’est du pays, s’en attribuer le mérite.

Nombre d’analystes considèrent que les talibans cherchent à discréditer le gouvernement et à réduire au silence ceux qui s’opposent à leur vision fondamentaliste de la religion.

Les pourparlers de paix au Qatar sont au point mort et les violences n’ont fait qu’augmenter ces derniers mois en Afghanistan, alors que Washington a ordonné un réexamen de l’accord signé en février 2020 à Doha avec les talibans prévoyant le retrait complet des troupes étrangères du pays d’ici mai 2021.