La lutte contre la pandémie de COVID-19 a servi de prétexte à nombre de régimes répressifs qui ont profité de la situation pour exercer un contrôle accru sur leur population.

Le secrétaire général des Nations unies (ONU), António Gutteres, a déploré lundi que « certains pays » ont évoqué la crise pour justifier une approche sécuritaire musclée et imposé des mesures d’urgence visant en fait à « écraser la dissidence, abolir les libertés les plus fondamentales, faire taire les médias indépendants et entraver le travail des organisations non gouvernementales ».

La déclaration, prononcée à l’ouverture de la 46e session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, fait écho à un rapport de Human Rights Watch (HRW) qui pressait récemment l’instance onusienne de former une commission d’enquête sur les violations des droits de la personne perpétrées sous le couvert de mesures visant à contrer la pandémie.

« Les gouvernements devraient lutter contre la COVID-19 en encourageant les gens à porter le masque, plutôt qu’en les sommant de se taire », relève en préambule du rapport le directeur adjoint des crises et des conflits de l’organisation, Gerry Simpson.

Les passages à tabac, la détention, les poursuites et la censure de critiques pacifiques violent nombre de droits fondamentaux, dont la liberté d’expression, sans rien faire pour endiguer la pandémie.

Gerry Simpson, directeur adjoint des crises et des conflits de HRW

HRW a notamment recensé 18 pays où des journalistes, des blogueurs et des manifestants ont été agressés physiquement, notamment pour avoir critiqué le manque d’équipement médical, le sous-financement du système de santé ou l’imposition de mesures de confinement.

Au Malawi, les forces de l’ordre ont attaqué en janvier avec des tuyaux et des bâtons un autre journaliste qui demandait l’autorisation de photographier leurs interventions sanitaires.

Plus d’une cinquantaine de pays ont utilisé par ailleurs des mesures sanitaires instaurées pour lutter contre la COVID-19 ou des lois préexistantes pour arrêter et traîner en justice des personnes critiquant leur stratégie de lutte contre la pandémie.

Des figures de l’opposition, des militants des droits de la personne ainsi que des travailleurs de la santé ont été visés, souvent en utilisant des lois « vaguement formulées » pouvant servir de justification à une répression tous azimuts.

La Chine, souligne le rapport, a notamment déclaré, en janvier, qu’elle avait « enquêté » sur plus de 17 000 personnes soupçonnées d’avoir fabriqué et diffusé des informations erronées sur la COVID-19.

PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Recep Tayyip Erdoğan, président de la Turquie

Le régime autoritaire du président Recep Tayyip Erdoğan a parallèlement fait savoir qu’il avait détenu et questionné 510 personnes entre mars et mai derniers au sujet de messages « provocateurs » relayés sur les réseaux sociaux.

Enfin, plus d’une dizaine de pays ont interdit de manière arbitraire des manifestations portant sur la pandémie ou d’autres sujets épineux pour le gouvernement en évoquant des questions de distanciation physique. La Russie a notamment utilisé ce stratagème en janvier pour interdire des rassemblements en soutien à l’opposant Alexeï Navalny, qui a survécu à une tentative d’empoisonnement imputée par ses partisans au régime du président Vladimir Poutine.

La préoccupation de HRW pour ces dérives se reflète dans la plus récente édition de l’index de démocratisation produit par l’Economist Intelligence Unit (EIU), qui intègre par ailleurs les répercussions sur les droits de la personne des mesures sanitaires adoptées par les pays démocratiques.

L’organisation note que la pandémie a mené à la privation de libertés fondamentales « à grande échelle » et entraîné le plus important recul global de l’index en 15 ans. Il est passé de 5,44 à 5,37, sur une échelle de 1 à 10, et tous les continents ont enregistré une réduction.

Le rapport de l’EIU relève que la suspension « sans précédent » de libertés individuelles observée notamment dans « les pays où la liberté était la norme avant la pandémie » a contribué à l’évolution constatée.

Les auteurs de l’analyse notent que les populations des pays en question ont largement accepté l’idée que des restrictions d’envergure étaient nécessaires à des fins sanitaires.

Elles n’ont cependant pas eu l’occasion de véritablement se faire entendre sur la marche à suivre, juge l’EIU, qui reproche aux gouvernements d’avoir « imposé » au nom de la science des mesures « extraordinaires », tout en faisant « peu d’efforts » pour intégrer le public dans le processus décisionnel.

« La pandémie a confirmé que nombre de dirigeants avaient pris l’habitude d’exclure le public de la discussion des enjeux de l’heure et montre que la gouvernance élitiste, et non la participation populaire, est devenue la norme », indique l’éditrice de l’index, Joan Hoey.