Juste avant Noël, le Vatican a annoncé que le pape François se rendra en Irak en mars. C’est la première visite d’un souverain pontife dans le pays d’Abraham. Les chrétiens irakiens, dont le nombre a fondu de 90 % depuis 20 ans, ont célébré le « courage » du pape.

Protéger les chrétiens apostoliques

Les chrétiens d’Irak font partie des « communautés apostoliques », qui existent depuis l’époque où les évangiles ont été écrits. « Avant la guerre, il y avait entre 1,3 et 1,5 million de chrétiens en Irak », estime Mario Bard, directeur de l’information à Aide à l’Église en détresse Canada, groupe de soutien matériel aux communautés menacées. « Mais la guerre et surtout les violences interethniques et interreligieuses les ont fait fuir. À l’arrivée de l’État islamique en 2014, il y en avait encore 500 000. Là, on estime qu’ils sont 150 000. » L’Irak compte 38 millions d’habitants. En janvier 2020, le pape François avait rencontré au Vatican le président irakien, Barham Salih, et lui avait demandé de garantir la sécurité des chrétiens irakiens. « Le Vatican est inquiet depuis plusieurs décennies du sort des communautés apostoliques du Moyen-Orient, elles sont passées de 15 % à 2 % de la population arabe depuis les années 1950 », explique Thomas Reese, jésuite de l’Université de Santa Clara en Californie qui a dirigé le magazine jésuite America de 1998 à 2005.

Ézéchiel et Noé

Un archevêque irakien de la communauté chaldéenne, une Église orientale qui fait partie de l’Église catholique, Bashar Warda, a évoqué dans la presse catholique le « courage » du pape dans cette décision de venir dans une région encore hautement instable. Le patriarche chaldéen, Louis Raphaël Sako, a comparé le pape au prophète Ézéchiel de l’Ancien Testament, qui a vécu et raconté l’exil des juifs à Babylone au VIe siècle avant Jésus-Christ. En entrevue avec la revue jésuite italienne Civiltà cattolica, le patriarche Sako a cité un passage du Livre d’Ézéchiel où le prophète décrit comment Dieu fait entrer l’« Esprit » dans les « os desséchés » des juifs exilés pour les faire revivre. « Il faut retourner au lieu d’origine de l’Arche de Noé, à la Mésopotamie », explique le directeur de Civiltà cattolica. « L’Arche réapparaît là où elle a été conçue pour briser la mer glacée de l’indifférence. La pandémie est notre “moment Noé”, avec l’Arche des liens qui nous unissent. »

Itinéraire

Selon le Vatican, François visitera tout d’abord Bagdad, puis la plaine d’Our, où serait né Abraham selon la Bible, la « capitale chrétienne » de l’Irak, Bakhdida, une ville de 50 000 habitants dans le nord de l’Irak, ainsi que deux villes où habitaient jusqu’en 2014 beaucoup de chrétiens, Mossoul et Erbil, au Kurdistan irakien. « Abraham est le patriarche commun aux trois grands monothéismes, le judaïsme, le christianisme et l’islam, explique le père Reese. C’est un symbole très fort de dialogue interreligieux, qui est selon le pape la condition essentielle pour la paix au Moyen-Orient. »

PHOTO FOURNIE PAR LES SERVICES D’INFORMATION DU VATICAN

L’église Saint-Thomas de Mossoul, endommagée par les combats entre les Kurdes et le groupe armé État islamique entre 2014 et 2017. Sur la photo, un combattant kurde.

Exil et retour

Mario Bard, d’Aide à l’Église en détresse, espère que la visite de François en Irak convaincra certains des chrétiens en exil de retourner au pays. « Ça va attirer l’attention du monde entier sur la présence des chrétiens au Moyen-Orient, dit M. Bard. Pour beaucoup, le Moyen-Orient, c’est l’islam. Cette attention pourrait avoir un effet protecteur et bénéfique pour d’autres minorités, comme les yézidis [un culte musulman minoritaire], que François visitera peut-être. » Selon M. Bard, Jean-Paul II et Benoît XVI avaient voulu visiter l’Irak, mais les difficiles relations avec Saddam Hussein puis la guerre civile ayant suivi l’invasion américaine de 2003 avaient contrecarré ces projets.

Les autres papes en terre d’islam

Le pape Paul VI a été le premier à visiter des pays musulmans – la Jordanie dans le cadre d’un pèlerinage en Terre sainte en 1964, puis la Turquie pour une journée en 1967. C’est la visite de Jean-Paul II au Maroc en 1985 qui a changé la perspective du Vatican. « Il y avait des foules pour accueillir Jean-Paul II, il a fait salle comble au stade à Casablanca, dit le père Reese. C’est là qu’on a compris que l’attrait du pape dépassait le christianisme. » Le pape polonais s’est aussi rendu en Égypte en 2000 et en Syrie en 2001, où il a été le premier pape à visiter une mosquée, à Damas. Benoît XVI a également visité la Turquie en 2006, sous haute sécurité parce qu’il venait de faire un discours où il citait – pour le condamner – un texte d’un empereur byzantin critiquant l’islam et Mahomet pour leur violence. François a aussi visité la Turquie, ainsi que le Maroc et les Émirats arabes unis. « Il a voulu aller en Syrie pour réconforter les communautés apostoliques de ce pays, mais c’est trop dangereux », dit le père Reese.

PHOTO FOURNIE PAR LES SERVICES D’INFORMATION DU VATICAN

Jean-Paul II arrive au Maroc en 1985.

Pandémie

La visite en Irak sera la première du pape François depuis la fin de 2019. Il devait se rendre en mai à Malte, puis en Indonésie, au Timor oriental et en Papouasie–Nouvelle-Guinée, mais ces visites ont été reportées à cause de la pandémie.