L’Armée de l’air américaine veut mettre au point des missiles hypersoniques nucléaires, selon un magazine spécialisé. Cela pourrait compromettre les négociations sur les traités limitant les armes stratégiques et les missiles à portée intermédiaire.

Le 12 août dernier, selon Aviation Week, le Centre des armes nucléaires de l’Armée de l’air a publié par erreur un appel d’offres touchant sept améliorations à ses missiles intercontinentaux, dont « un système de protection thermique permettant un planage hypersonique à des distances intercontinentales ». Et ce, même si les États-Unis affirment que leur programme de recherche hypersonique est exclusivement non nucléaire. Un lieutenant-général responsable du dossier a expliqué à Aviation Week que l’option hypersonique n’était pas « essentielle » pour la modernisation des armes balistiques stratégiques.

« Un missile stratégique hypersonique peut manœuvrer comme un avion, contrairement à un missile balistique », explique Michel Fortmann, politologue à l’Université de Montréal, et auteur du livre Le retour du risque nucléaire.

La vitesse n’est pas tellement différente, six à huit fois la vitesse du son. Mais la capacité de manœuvrer permet d’éviter les systèmes antibalistiques.

Michel Fortmann, politologue à l’Université de Montréal

Les traités limitant les arsenaux nucléaires russe et américain n’ont jamais interdit la recherche sur les nouveaux missiles, selon M. Fortmann. « Le président Carter avait proposé une telle interdiction, mais ça n’avait mené nulle part. » Mais un missile nucléaire hypersonique américain pourrait compliquer le renouvellement du traité New Start, entré en vigueur en 2011, l’an prochain. « Les États-Unis n’ont pas besoin de l’option hypersonique pour pénétrer les défenses chinoises et russes, contrairement à ces derniers pour pénétrer les défenses américaines. »

Mar-a-Lago comme cible ?

Le président russe Vladimir Poutine avait dévoilé en 2018 un programme de missile hypersonique nucléaire, illustrant ses capacités avec une carte de la Floride, comme si la cible était Mar-a-Lago, lieu de la résidence de Donald Trump. La Chine a aussi un programme hypersonique. L’an dernier, le bureau de recherche du Congrès américain avait estimé que des missiles hypersoniques pourraient entrer en service dès 2021.

Mais la nouvelle d’un missile nucléaire hypersonique américain n’émeut pas Keir Lieber, de l’Université Georgetown, spécialiste de la parité nucléaire et de la défense antibalistique.

Les négociations sur [le traité] New Start vont mal de toute façon, et la situation est instable depuis belle lurette. La Chine, la Russie et les États-Unis ont beau gesticuler, ils savent que personne ne fera le premier pas. On vit avec l’incertitude, c’est tout.

Keir Lieber, spécialiste de la parité nucléaire et de la défense antibalistique

Un missile nucléaire hypersonique ne permettrait-il pas aux États-Unis de détruire les missiles nucléaires russes ou chinois avec un préavis plus court qu’avec des missiles balistiques ? « Ils peuvent déjà le faire avec les missiles balistiques des sous-marins, dit M. Lieber. L’option hypersonique n’enlèverait que quelques minutes par rapport à un missile tiré par un sous-marin. Les Russes ont investi beaucoup d’argent et d’énergie depuis 20 ans pour récupérer une capacité de cacher assez de missiles terrestres mobiles, et de missiles dans des sous-marins capables d’échapper à la surveillance américaine, pour être capables de répliquer à une attaque nucléaire. »

M. Lieber avait en 2006 publié dans la revue Foreign Affairs une étude très remarquée où il concluait que le piètre état de l’économie et de l’armée russes signifiait que les États-Unis avaient la capacité d’éliminer le potentiel de réplique nucléaire russe. Cela mettait fin au concept de « destruction mutuelle assurée », MAD selon l’acronyme anglais, qui, selon certains, assurait une certaine stabilité.

L’autre traité qui pourrait être affecté par un missile nucléaire hypersonique américain est celui sur les missiles nucléaires à portée intermédiaire (FNI), entre 500 et 5500 km. Signé en 1987, il a permis d’éliminer les missiles nucléaires en Europe. « Les États-Unis ont annoncé l’an dernier qu’ils sortiraient du traité parce que les Russes ont testé sur terre des missiles intermédiaires maritimes, qui sont permis par le FNI, dit M. Fortmann. Les États-Unis veulent avoir des missiles intermédiaires terrestres en Asie pour contrer la Chine, même si ce n’est pas nécessaire parce qu’ils ont déjà tous les missiles intermédiaires nécessaires sur leurs navires et leurs sous-marins. »