Les travailleurs migrants se retrouvent dans la ligne de mire du gouvernement russe, qui multiplie depuis quelques mois les initiatives de surveillance électronique sur fond de lutte contre la pandémie de COVID-19.

Dans un nouveau rapport paru mardi, Human Rights Watch s’inquiète d’informations parues dans un média d’État relativement au développement d’une nouvelle application que les migrants en question seraient ultimement tenus de télécharger à leur arrivée au pays.

Une recherchiste de l’organisation établie en Russie, Damelya Aitkozhina, relève que les informations partielles disponibles au sujet de l’application sont « alarmantes » puisqu’elles suggèrent que le dispositif envisagé serait profondément intrusif.

Selon RIA Novosti, l’application permettrait notamment de stocker les données biométriques du migrant, des informations sur son état de santé ainsi que des renseignements sur ses antécédents criminels s’il en a.

Il est aussi question de données permettant d’apprécier le niveau de « fiabilité sociale » de la personne ciblée. Les indicateurs qui seraient utilisés pour parvenir à noter l’individu ne sont pas précisés.

Human Rights Watch souligne que ce volet de l’application rappelle le système de « crédit social » actuellement développé par la Chine, qui conditionne l’accès à certains privilèges au comportement des individus.

Il n’est pas clair par ailleurs si la nouvelle application russe serait utilisée pour accéder aux données de géolocalisation des migrants.

En Russie, la collecte de données sensibles pouvant porter atteinte à la protection de la vie privée est en théorie interdite, sauf si elle est « proportionnelle à un objectif légitime » et doit s’appliquer « pour une période limitée », selon Mme Aitkozhina.

« À première vue, cette application ne satisferait aucun de ces critères », souligne la recherchiste, qui lie l’initiative gouvernementale aux manifestations de xénophobie accompagnant la pandémie de COVID-19.

Les médias locaux, dit-elle, véhiculent régulièrement des informations suggérant que les migrants représentent une menace pour la santé publique et contribuent à la propagation du virus, une perception alimentée par le fait que nombre d’entre eux occupent des postes, notamment de livreurs, les ayant rendus « particulièrement visibles en période de confinement ».

Pas une première

Les médias russes relèvent que le projet d’application émane du ministère de l’Intérieur et découle de « cas de force majeure » liés au nouveau coronavirus, qui a officiellement infecté près de 485 000 personnes dans le pays.

Il ne s’agit pas de la première initiative de surveillance justifiée par la situation sanitaire en Russie.

Au début du mois de mars, les autorités ont annoncé qu’elles utiliseraient à Moscou un système de caméras ayant des capacités de reconnaissance faciale pour s’assurer que les personnes arrivant de l’étranger ou ayant été en contact avec des malades respectent la quarantaine obligatoire de deux semaines.

Le chef de police de la capitale a affirmé quelques semaines plus tard que des centaines de personnes avaient été prises en défaut avec le système, que des organisations de défense des droits de la personne ont cherché à bloquer.

Les autorités russes ont aussi imposé début avril une application destinée aux personnes souffrant de troubles respiratoires liés à la COVID-19 qui permet de s’assurer qu’elles demeurent confinées à domicile.

Selon HRW, elle a mené à l’imposition d’amendes abusives à des milliers de personnes.

L’application permet en effet de demander aux personnes ciblées d’envoyer un autoportrait montrant leur environnement immédiat pour garantir qu’elles ne sont pas sorties en laissant leur appareil derrière. Les messages arrivent parfois la nuit alors que les malades dorment et l’amende est imposée faute de réponse avant même leur réveil, explique l’organisation de défense des droits de la personne.

Mme Aitkozhina prévient que les Russes qui se réjouissent du développement d’une nouvelle application ciblant les travailleurs migrants devraient y penser à deux fois en considérant l’enthousiasme manifesté par le gouvernement envers ce type de technologie.

« Qu’est-ce qui empêchera les autorités, après l’avoir testée sur les travailleurs étrangers, de l’étendre à tous les étrangers et éventuellement les personnes ayant la nationalité russe ? », demande-t-elle.