(Londres) En ordre dispersé et parfois dans la polémique, les Européens ont amorcé un déconfinement qui s’annonce complexe, au rythme d’une épidémie planétaire du nouveau coronavirus encore loin d’être jugulée.

La pandémie a fait à ce jour au moins 206 670 morts (dont plus de 125 000 en Europe) pour près de trois millions de personnes contaminées dans le monde, selon une compilation sur la base des chiffres officiels.

Ce terrible bilan, qui va encore s’alourdir, aurait pu être allégé si tous les pays du monde avaient « écouté attentivement » l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), a plaidé lundi son patron, Tedros Adhanom Ghebreyesus, mis en cause par les États-Unis qui critiquent son action et lui ont coupé les vivres.  

Rappelant avoir donné l’alerte le 30 janvier, alors qu’il n’y avait en dehors de Chine que 82 cas et aucun mort, il a déclaré avoir « conseillé au monde entier de mettre en œuvre une approche globale en matière de santé publique ».

« Nous avions dit de trouver les cas, tester, isoler et rechercher les contacts. Les pays qui ont suivi les conseils sont en meilleure position que les autres. C’est un fait », a-t-il dit.  

Alors que la pandémie marque le pas dans certains des pays européens les plus touchés, notamment au Royaume-Uni, le premier ministre britannique Boris Johnson, lui-même victime du virus et de retour aux affaires lundi, a appelé ses concitoyens à la patience.

« Agresseur inattendu et invisible »

« Si ce virus était un assaillant, un agresseur inattendu et invisible, et je peux vous dire de ma propre expérience que c’en est un, ce serait le moment où nous avons commencé à le maîtriser au sol. […] Mais c’est aussi un moment de risque maximum », a-t-il expliqué.

Si donc la courbe de l’épidémie « commence à s’inverser », les Britanniques doivent continuer à respecter les mesures de confinement, a-t-il plaidé, promettant des décisions « dans les jours à venir », tout en refusant « de gâcher les efforts et les sacrifices du peuple britannique et de risquer une deuxième épidémie majeure ».

Ailleurs sur le Vieux continent, à la faveur de l’embellie observée ces derniers jours, conséquence des sévères restrictions de mouvement imposées depuis plus d’un mois, plusieurs pays se préparent à lever progressivement ou ont déjà allégé le confinement.

La Norvège a rouvert lundi des écoles. Une semaine après les « barnehager » qui font office de crèches et de maternelles, c’est au tour des enfants de six à dix ans de retrouver les bancs de l’école, dans des classes réduites à 15 élèves.

« Alt blir bra »

À l’école Levre de Baerum, dans la banlieue résidentielle d’Oslo, des fleurs peintes au sol à l’entrée du bâtiment marquent la distance à respecter. Sur un dessin d’enfant représentant un arc-en-ciel, l’inscription « Alt blir bra » en majuscules : « tout ira bien » en norvégien.

Les Suisses ont peu recommencer à aller chez le coiffeur ou les fleuristes, avec la réouverture de certains commerces lundi. En Allemagne et en Autriche également, une grande partie des commerces ont rouvert ces derniers jours, avec de stricts mots d’ordre de « distanciation sociale » et de ports du masque dans les espaces publics.

Louée jusqu’ici pour l’efficacité de sa réponse très ferme à l’épidémie, la chancelière allemande Angela Merkel voit le consensus de l’opinion se craqueler et les critiques monter sur la lenteur d’un déconfinement trop progressif selon certains.

En Espagne, après six semaines cloîtrés chez eux, les enfants peuvent depuis dimanche recommencer à jouer dans la rue, avec un certain nombre de restrictions. Le confinement a été prolongé jusqu’au 9 mai inclus et le gouvernement présentera mardi son plan d’assouplissement.  

Le premier ministre français, Edouard Philippe, dévoilera lui aussi mardi sa stratégie en vue du déconfinement, qui doit débuter le 11 mai, avec notamment une réouverture progressive mais controversée des écoles.

Les Parisiens vont-ils craquer ?

Sous un doux soleil printanier, de plus en plus de Parisiens sont néanmoins tentés de sortir dans les rues vidées de leur habituel chaos automobile. Il ne faut pas que « les gens craquent », s’inquiètent les autorités.

L’Italie doit détailler en début de semaine les mesures qu’elle envisage par étapes à compter du 4 mai. Les écoles resteront fermées jusqu’en septembre mais les entreprises stratégiques de la troisième économie européenne ont été autorisées à rouvrir.

Lundi matin, une centaine d’ouvriers et de cadres de l’usine Fiat-Chrysler de Mirafiori, dans la banlieue de Turin, ont ainsi franchi le portail d’entrée. Ils ont passé un scanner thermique avant de recevoir les équipements de protection : masques, gants, lunettes.  

Les Italiens pourront dans une semaine aller voir leur proches à condition de porter des masques, notamment en présence de personnes âgées. Cependant les fêtes et réunions de familles resteront interdites.

Du 11 mars au 26 avril, 151 médecins italiens ont succombé au virus, a annoncé lundi l’ordre des chirurgiens.  

En Europe, le bilan humain reste très lourd : 26 977 décès en Italie, 23 521 en Espagne, 22 856 en France, 21 092 au Royaume-Uni (sans tenir compte des décès en maisons de retraite). En proportion de la population, c’est en Belgique que la mortalité est la plus élevée.

En Chine, où était apparue la COVID-19 à la fin de l’année dernière, collégiens et lycéens ont fait lundi une rentrée ultra-sécurisée - avec masques et prises de température - dans les métropoles de Pékin et Shanghai.

« Je suis contente, ça fait trop longtemps que je n’ai pas vu mes camarades de classe », sourit Hang Huan, 18 ans, devant le lycée Chenjinglun, dans l’est de la capitale chinoise.  

Toutes les écoles chinoises étaient fermées depuis la fin janvier. Le pays a depuis lors jugulé l’épidémie, avec un bilan officiel de 4633 morts (que certains jugent largement sous-estimé), mais les autorités redoutent à présent une seconde vague avec des cas dits « importés », en majorité des Chinois de retour au pays.

En Israël, le gouvernement a annoncé la réouverture progressive des écoles à partir du 3 mai, ainsi que la majorité des commerces et restaurants, sous conditions.  

De loin le pays aujourd’hui le plus touché, les États-Unis ont enregistré 54 841 décès au total.

Contesté dans certains États, le confinement bénéficie d’un large soutien à New York : les électeurs de cet État à l’épicentre de l’épidémie soutiennent à une écrasante majorité - 87 % - la décision de leur gouverneur de maintenir le confinement jusqu’au 15 mai au moins, selon un sondage paru lundi.

Des chercheurs d’Harvard ont estimé lundi que, contrairement à ce qu’affirme la Maison-Blanche, le pays est loin d’avoir la capacité de dépistage nécessaire pour entamer le déconfinement d’ici au 1er mai.