(Paris) Le comptage quotidien des victimes de la COVID-19, dont le nombre officiel a dépassé les 100 000 morts, est un exercice délicat, le recueil des données en temps réel n’étant que parcellaire et les méthodes variables selon les pays.

Lieu du décès, façon d’identifier les causes de la mort, délais différents de remontée des informations : plusieurs éléments peuvent avoir de l’impact sur ces décomptes, forcément sous-évalués, mais essentiels pour surveiller l’évolution de la pandémie.

Il s’agit d’un vrai « défi statistique », souligne ainsi l’institut français des études démographiques, l’Ined.

Hôpitaux et maisons de retraite

Si l’Espagne et la Corée du Sud comptabilisent tous les décès de personnes testées positives à la COVID-19, que ce soit à l’hôpital ou en dehors, ce n’est pas le cas de tous les pays. Les chiffres iraniens, par exemple, ne semblent inclure que des décès à l’hôpital.

Jusqu’à récemment, les décès en maison de retraite ne figuraient pas non plus dans les chiffres officiels français et britanniques. Ils sont pourtant loin d’être marginaux, puisqu’ils représentent aujourd’hui plus du tiers du bilan en France.

Aux États-Unis, les décès pris en compte varient d’un État à l’autre : l’État de New York inclut les maisons de retraite, la Californie non.

Même en Italie, qui affiche officiellement le bilan le plus lourd dans le monde (plus de 18 000 morts), les décès en maison de retraite ne sont pas tous recensés. Si un gros foyer épidémique est détecté dans un établissement, des tests sont réalisés et les décès comptabilisés, mais si un établissement est moins touché, il est vraisemblable que ce ne sera pas le cas, explique la Protection civile.

COVID-19 ou une autre maladie ?

Si certains pays, comme la Corée du Sud, l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni, incluent dans leurs chiffres toutes les personnes ayant été déclarées positives au coronavirus, même celles décédées des complications d’une maladie préexistante, d’autres pays sont plus sélectifs.

En Iran, sont exclus des bilans les patients testés positifs, mais décédant d’une autre « maladie respiratoire grave ».  

Aux États-Unis se multiplient des témoignages de personnes dont les proches sont morts, officiellement de pneumonie, avant que les tests ne soient disponibles ou à un moment où ils étaient difficiles à obtenir.

PHOTO KIM DO-HOON, AP

La Corée du Sud inclut dans ses chiffres toutes les personnes ayant été déclarées positives au coronavirus.

Manque de tests et délais

Pendant une épidémie, « la remontée et le traitement des informations, même accélérés, se font avec quelques jours de décalage et ne couvrent pas tous les décès. Il faut plusieurs semaines ou plusieurs mois pour pouvoir décompter précisément tous les morts », estiment Gilles Pison et France Meslé, démographes à l’Ined, sur le site The Conversation.

Aux États-Unis, même en l’absence de test, les certificats de décès doivent mentionner si la COVID-19 est la cause « probable » de la mort, mais ces certificats mettent du temps à remonter et ne peuvent être pris en compte pour les bilans en temps réel.  

En Espagne, les registres d’état civil et le nombre d’enterrements font apparaître une surmortalité bien supérieure à celle qui devrait découler du bilan officiel de la COVID-19.  

Par manque de tests, l’Espagne réalise très peu de dépistages post-mortem. Ainsi, si une personne n’a pas été dépistée avant de mourir, elle n’est pas comptabilisée par les autorités sanitaires. Les données judiciaires, moins restrictives, laissent entrevoir un bilan bien supérieur : par exemple, le tribunal supérieur de Castille-La Manche a enregistré en mars 1921 actes de décès « dont la cause est due au Covid ou à une suspicion de Covid », soit près de trois fois plus que les 708 morts (positifs à la COVID-19) recensés au 31 mars par les autorités sanitaires.

Autre illustration : à Bergame, en Lombardie, ont été recensés, au cours de la première quinzaine de mars, 108 morts de plus (+193 %) qu’un an plus tôt… mais seulement 31 décès liés à la COVID-19.

Chine et Iran accusés de mentir

Parfois, la sincérité même des chiffres publiés est remise en cause.

En Iran, les bilans officiels ont été contestés, notamment au début de l’épidémie, par des responsables provinciaux et des parlementaires. Même l’agence officielle Irna a parfois diffusé des chiffres plus élevés que ceux des autorités, bilans ensuite démentis par le gouvernement. À l’extérieur du pays, Washington, notamment, a reproché à Téhéran de maquiller ses chiffres.

Concernant la Chine, berceau de l’épidémie, un rapport confidentiel des renseignements américains, cité par l’agence Bloomberg, a accusé Pékin d’avoir intentionnellement sous-évalué son bilan. Ses chiffres ont également été mis en doute par plusieurs responsables iraniens, mais le porte-parole du ministère de la Santé a été contraint à corriger ses propos après avoir qualifié le bilan chinois de « plaisanterie de mauvais goût ».