Donald Trump bombardera-t-il des sites culturels iraniens ? Est-ce la fin de l’accord international sur le nucléaire ? Les soldats américains quitteront-ils l’Irak ? La situation entre les États-Unis et l’Iran est difficile à suivre tant les derniers jours ont été mouvementés. Thomas Juneau, professeur en affaires publiques et internationales à l’Université d’Ottawa et ancien analyste stratégique sur le Moyen-Orient au ministère de la Défense nationale, nous aide à comprendre.

Q. Dimanche, l’Iran a déclaré qu’il ne se sentait plus tenu de respecter une limite sur le nombre de ses centrifugeuses. Si l’Iran n’a plus de limite de production d’uranium, est-ce que ça signifie la mort de l’accord international sur le nucléaire ?

R. L’accord sur le nucléaire est sur le respirateur artificiel, mais il n’est pas mort. L’Iran ne s’en est pas retiré. Il a simplement annoncé une cinquième série de mesures limitant ses engagements par rapport à cet accord. Il y a eu quatre séries précédentes en réaction au retrait des États-Unis de l’accord de Vienne, en 2018. La cinquième série de mesures qu’on a vue dimanche, on savait depuis plusieurs semaines qu’elle aurait lieu, et elle n’est pas le résultat de l’assassinat du général Soleimani. La nuance est extrêmement importante. Maintenant, est-ce que l’Iran a réduit encore plus ses engagements par rapport à ce qu’il aurait fait s’il n’y avait pas eu l’assassinat de Soleimani ? On ne le sait pas.

Q. Le gouvernement iranien dit qu’il est prêt à faire marche arrière si les sanctions réimposées et durcies par les États-Unis en 2018 sont levées. Pensez-vous qu’il y a réellement place à la négociation ?

R. En théorie, oui. En pratique, c’est difficile. Pour que l’Iran puisse négocier sérieusement avec les États-Unis, ça prend une mobilisation de ressources phénoménale. Quand l’accord sur le nucléaire a été complété en 2015, ç’a été extrêmement controversé en Iran. Alors, avec le climat actuel tellement tendu, le ressentiment à l’endroit des États-Unis tellement important, ça serait très difficile pour le gouvernement iranien de mobiliser les ressources nécessaires pour négocier sérieusement avec les États-Unis. Mais le contre-argument à ça, c’est que l’Iran est sous pression [économique], surtout à cause des sanctions, et la menace américaine en Iran fait très peur. Alors autant c’est difficile de négocier, autant l’incitatif est là.

Q. Samedi, Donald Trump a annoncé que si l’Iran attaquait du personnel ou des sites américains, il riposterait par l’attaque de sites culturels iraniens. Dimanche matin, le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, faisait la tournée des médias pour dire que Washington respecterait le cadre de la loi. À quel point doit-on prendre au sérieux la menace du président Trump ?

R. Il faut bien comprendre que d’attaquer des sites culturels, c’est complètement illégal, c’est un crime de guerre en vertu du droit international. Au Pentagone, au sein de l’institution civile et militaire, c’est extrêmement clair qu’on ne laisserait pas faire ça. Alors, je pense que quand le président Trump dit qu’il va faire quelque chose comme ça, c’est monstrueux à toutes sortes d’égards, mais il ne faut pas considérer que ça reflète la réalité. Cela étant dit, quand le président Trump dit des choses semblables, c’est très dommageable pour la réputation et pour la crédibilité des États-Unis.

Q. En réaction à l’assassinat du général iranien Qassem Soleimani sur son territoire, le Parlement irakien a voté pour l’expulsion des troupes américaines de son pays. Est-ce que les soldats risquent réellement de plier bagage ?

R. Cette résolution-là était non contraignante, et avant qu’on en arrive à une décision et ensuite à un retrait formel des États-Unis en Irak, il y a plusieurs étapes à passer et il y a beaucoup d’obstacles. Il faut bien comprendre que la présence américaine en Irak est très controversée, c’est une patate chaude politique. Il y a beaucoup de gens au sein de l’élite irakienne qui comprennent que la présence américaine est nécessaire – pour la lutte contre le groupe État islamique, mais aussi pour équilibrer la présence de l’Iran –, mais peu de politiciens veulent la défendre publiquement. Alors, ils profitent peut-être du flou actuel pour jouer la carte nationaliste.

Q. Vous parlez de la situation au gouvernement ?

R. Une des ambiguïtés, c’est que le premier ministre irakien a démissionné [le 29 novembre] et qu’il occupe son poste en attendant que le Parlement choisisse quelqu’un pour le remplacer. On ne sait pas, en ce moment, si cet individu-là a même l’autorité de signer une loi comme celle-là, qui résilierait l’entente sécuritaire avec les États-Unis. Ça va être un jeu très délicat dans les prochaines semaines.

Q. Et dans les prochains jours, à quoi peut-on s’attendre, selon vous ?

R. L’Iran va répondre aux États-Unis, mais à moyen terme, pas à court terme. Les prochains jours sont extrêmement difficiles à prédire, on nage dans l’incertitude. Je pense que la tension va rester très élevée, mais sans escalade réelle, sans confrontation directe entre les États-Unis et l’Iran. Donald Trump ne veut pas une guerre contre l’Iran, et les Iraniens n’en veulent pas non plus. Dans une guerre ouverte contre les États-Unis, les Iraniens ne feraient pas le poids. Mais en même temps, ils ne veulent pas reculer pour ne pas perdre la face. Alors, on est dans une espèce de statu quo extrêmement tendu et inconfortable, où les deux ne veulent ni reculer ni avancer.