(Paris) Ils ne sont pas structurés, mais s’influencent mutuellement via internet : racistes et suprémacistes du monde entier multiplient les passages à l’acte et représentent une menace croissante qui se nourrit de ses héros et de ses martyrs.

La double fusillade qui a fait neuf morts à Hanau, en Allemagne, et semble directement liée à des « motivations xénophobes », intervient après une longue liste d’actes meurtriers commis en Occident par des individus en quête de la défense de la « race blanche », qu’ils disent menacée par les migrations, la mondialisation et l’islam.  

Et de Christchurch à Pittsburgh, de Halle à El Paso, les militants qui ont décidé de passer à l’acte ces derniers mois se nourrissent d’un narratif véhiculé sur l’internet avec une efficacité qui inquiète experts et forces de sécurité.

Pour des sources consultées par l’AFP, le néonazi norvégien Anders Behring Breivik, qui avait tué 77 personnes en 2011, a comme désinhibé les militants les plus tentés par l’action.  

PHOTO LISE AASERUD, AFP

Anders Behring Breivik, qui a tué 77 personnes de sang-froid en 2011, faisant le salut nazi, avant une audience le 10 janvier 2017.

« Breivik est devenu une figure inspirante pour certains », estime Graham Macklin, professeur assistant au Centre international de l’antiterrorisme (ICCT) de La Haye, dans un récent article consacré au sujet.

« L’écosystème numérique alimente un élan », estime-t-il. « Une attaque encourage et en inspire une autre, créant un ensemble de “saints” et de “martyrs” que les autres peuvent imiter ».

L’extrémisme suprémaciste blanc est entré dans une phase de mondialisation évidente, confirme de son côté le Soufan Center, un think tank spécialisé dans les questions de sécurité créé par un ancien du FBI.

Christchurch sur Facebook Live

Les auteurs de ces tueries « ont été célébrés en héros, martyrs, saints, commandants et autre titres honorifiques », relevait en septembre une étude signée du centre américain.

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Le mouvement néonazi couve en Allemagne depuis des années : ces armes et des symboles ont été confisquées en 2003 à un groupe d'extrême droite allemand à Kiel, en Allemagne. « Combat 18 » est un code évoquant Mein Kampf (« Mon combat »), le manifeste d'Adolph Hitler. Les chiffres 1 et 8 font référence à la 1ère et à la 8e lettres de l'alphabet, soient les initiales d'Adolph Hitler.

Les sympathisants « embrassent des croyances millénaristes et apocalyptiques évoquant une guerre raciale imminente, dont certains sont convaincus de la fin des temps », selon le texte.  

Comme pour le djihadisme, la Toile agit en multiplicateur. Des plateformes discrètes, mais accessibles (8Chan) ou ouvertes à tous (YouTube), ainsi que les réseaux sociaux les plus classiques permettent aux militants d’exalter les passages à l’acte et de promouvoir leurs fondements idéologiques.

L’attentat de Christchurch, en Nouvelle-Zélande en mars 2019, avait ainsi été diffusé en direct sur Facebook Live.  Quelques mois plus tard, le tueur de Halle, dans l’est de l’Allemagne, avait lui aussi mis en ligne en direct son attaque antisémite sur la plateforme de streaming Twitch.

« Il existe de nombreux groupuscules radicaux dans le monde et internet est un facilitateur dans leur rencontre nationale, voire internationale », constate pour l’AFP Anaïs Voy-Gillis, géographe à l’Institut français de géopolitique, spécialiste de l’extrême droite.  

Crise migratoire

Selon elle, le massacre de Breivik a permis de « réenclencher » la dynamique d’un terrorisme d’extrême droite qui lui préexistait. « Au-delà des actes qui ont toujours une sorte d’effet boule de neige, le contexte actuel avec notamment la crise migratoire de 2015 a sûrement participé à la radicalisation de plusieurs personnes qui sont désormais prêtes à passer à l’acte au nom d’une cause qu’ils estiment supérieure ».  

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Un migrant saute d'un radeau pneumatique venu de Turquie, avant de poser le pied sur l'île de Lesbos, en Grèce, en 2015.

Obnubilées par le djihadisme, les autorités du monde entier doivent désormais intégrer cette menace, peut-être moins prégnante, mais bien réelle.  

En France, une commission d’enquête de l’Assemblée nationale évoquait en juin de timides tentatives de contacts entre « des groupuscules d’ultra-droite présents en France » et des structures européennes, notamment en Allemagne, en Grèce et en Belgique, mais aussi en Italie, Grande-Bretagne, Espagne ou encore Autriche.

Auditionné, Nicolas Lerner, patron de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), jugeait « extrêmement limitées » les capacités de ces mouvements à se coordonner à l’échelle européenne.  

Mais coordonnés ou pas, ces groupuscules sont devenus prioritaires pour les autorités américaines.  

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Des manifestants néonazis américains à la manifestation « Unite the Right » de Charleston, en Caroline du Nord, le 12 août 2017.

Selon un rapport du FBI daté de novembre 2019, 19 % des actes de terrorisme commis par des « loups solitaires » aux États-Unis viennent d’idéologies « défendant la supériorité de la race blanche ». Soit exactement la même proportion que l’islamisme radical.

Conclusion sans appel tirée par Russell Travers, directeur du National Counterterrorism Center : « Pendant deux décennies, les États-Unis ont pointé du doigt les pays étrangers exportateurs d’idéologie islamiste extrême. Nous sommes désormais vus comme des exportateurs d’idéologie suprémaciste blanche. C’est une réalité que nous allons devoir gérer ».