Les forces arabo-kurdes aidées par les États-Unis ont proclamé samedi en Syrie la fin du « califat » du groupe État islamique (EI), une victoire saluée comme cruciale mais pas suffisante pour éradiquer la capacité de nuisance de la principale organisation djihadiste au monde.

« Le territoire que l'EI a pu tenir en Irak et en Syrie a été libéré. Nous félicitons l'armée américaine, les FDS et la coalition pour cet incroyable succès. Il reste beaucoup de travail pour s'assurer que la menace du terrorisme islamique radical soit totalement et définitivement annihilée », a tweeté le secrétaire d'État Mike Pompeo.

Pour célébrer cette victoire attendue depuis des semaines, les Forces démocratiques syriennes (FDS), fer de lance de la lutte antidjihadistes, ont hissé leur drapeau jaune sur le village conquis de Baghouz, dans l'est syrien, où les derniers djihadistes avaient désespérément résisté.

Près de Baghouz, à Al-Omar, un champ pétrolier utilisé comme base arrière durant l'assaut final, des combattants et combattantes des FDS, dominées par les Kurdes, ont chanté et dansé, selon une équipe de l'AFP sur place. Une fanfare militaire a joué notamment l'hymne américain.

« Les FDS annoncent la totale élimination du soi-disant califat et une défaite territoriale à 100 % de l'EI », a annoncé un porte-parole, Mustefa Bali, dans un communiqué.

La perte de la dernière poche djihadiste signe la fin territoriale de l'EI en Syrie, après sa défaite en Irak en 2017. Mais, même si cette victoire est une date marquante dans la lutte contre les mouvements djihadistes dans le monde, commandants kurdes et Occidentaux estiment que le combat n'est pas terminé.

Après s'être emparé de vastes régions en Syrie et en Irak, l'EI avait proclamé en juin 2014 un « califat » sur un territoire grand comme le Royaume-Uni, instaurant sa propre administration et collectant des impôts avant de lancer une campagne de propagande pour attirer des recrues étrangères.

Mais l'organisation djihadiste la plus brutale de l'histoire moderne y avait aussi fait régner la terreur : décapitations, exécutions massives, rapts et viols... Sans compter les enlèvements d'étrangers et les attentats meurtriers revendiqués en Syrie, dans d'autres pays arabes ou asiatiques et en Occident ainsi que la destruction de trésors archéologiques.

A Baghouz, les combats ont été très violents, avec au sol les FDS soutenues par des raids aériens de la coalition, face aux derniers irréductibles de l'EI, acculés dans une étroite bande de terre sur une rive de l'Euphrate, près de la frontière irakienne.

En six mois de combats, plus de 630 civils dont 209 enfants et 157 femmes ont été tués, d'après l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH). Quelque 1600 djihadistes et 750 combattants des FDS ont également péri.

« Étape historique »

« Ceux qui étaient retranchés jusqu'à la fin étaient principalement des étrangers : Tunisiens, Marocains, et Egyptiens », a indiqué Hicham Haroun, 21 ans, un combattant des FDS.

Autour de lui, les restes d'un campement de fortune où se terraient les djihadistes, parfois dans des tunnels et des caves.  

Des corps, sans doute de djihadistes, gisaient au sol - mais on ignore ce qu'il est advenu des combattants de l'EI qui résistaient encore vendredi soir.

Lors d'une cérémonie à Al-Omar pour célébrer la victoire, le commandant en chef des FDS, Mazloum Kobane,  a souligné que la fin du « califat » marquait « le début d'une nouvelle phase » dans la lutte anti-EI. Elle consistera, selon lui, à éliminer les cellules dormantes des djihadistes, qualifiées de « grande menace pour [...] le monde entier ».

Présent à la même cérémonie, l'envoyé américain de la coalition internationale dirigée par les États-Unis, William Roebuck, a salué une « étape cruciale » et souligné « l'indéfectible engagement de nos partenaires locaux et de la coalition à défaire l'EI ».

Parmi les premières réactions de pays membres de la coalition, Paris a jugé qu'un « danger majeur » avait été « éliminé » et Londres a parlé d'une « étape historique ».

Le dernier assaut contre Baghouz, lancé le 9 février, a constitué la phase finale d'une opération déclenchée en septembre 2018 pour chasser l'EI des derniers secteurs sous son contrôle en Syrie.  Il a été ralenti par la sortie de l'enclave de dizaines de milliers de personnes.

De début janvier aux jours derniers, plus de 67 000 personnes au total ont quitté la poche de l'EI, dont 5000 djihadistes arrêtés après leur reddition, selon les FDS.

Les civils - des familles de djihadistes pour la plupart -, ont été transférés dans des camps, principalement dans celui d'Al-Hol (nord-est), où ils vivent dans des conditions difficiles.

Parmi les rescapés, des milliers d'étrangers de dizaines de pays. Leur rapatriement fait toujours débat notamment au sein des États occidentaux.

Des affiliés

Ces dernières années, l'EI a été la cible de multiples assauts : des FDS soutenues par la coalition internationale d'une part, du régime de Damas appuyé par l'armée russe d'autre part.

Le « califat » désormais réduit à néant, des djihadistes restent disséminés dans le désert s'étendant du centre syrien jusqu'à la frontière irakienne, ainsi que dans le désert de l'autre côté de la frontière, en Irak.

Des cellules dormantes parviennent aussi encore à mener des attentats meurtriers, disent les experts, selon lesquels l'EI a déjà entamé sa mue en organisation clandestine.

« Nous resterons vigilants [...] jusqu'à ce que l'organisation soit vaincue, où qu'elle soit », a prévenu samedi soir le président américain Donald Trump, se félicitant de la fin du « califat ».

Pour le général Paul LaCamera, commandant des forces de la coalition anti-EI, « la lutte contre Daech et sa violence extrémiste est loin d'être finie ».

« Ne vous y fiez pas, Daech préserve ses forces », a-t-il déclaré dans un communiqué, utilisant un acronyme arabe pour désigner l'EI. « Ils ont pris des décisions en calculant ce qui leur reste de forces vives et de capacités, pour tenter leur chance dans des camps pour déplacés et en allant dans des zones reculées. Ils attendent le bon moment pour ressurgir ».

Selon un récent rapport du patron de l'ONU Antonio Guterres, l'EI peut compter dans le monde sur plusieurs groupes affiliés, qu'il qualifie de « provinces », pour perpétuer son idéologie et combat sanglant.

Surnommé le « fantôme », le chef de l'EI, l'Irakien Abou Bakr al-Baghdadi, se terrerait lui dans le désert syrien, selon Hicham al-Hachémi, spécialiste des mouvements djihadistes. Les États-Unis offrent 25 millions de dollars pour la capture de l'homme le plus recherché au monde.

La bataille contre l'EI était le principal front de la guerre aux multiples acteurs en Syrie qui a fait plus de 370 000 morts depuis mars 2011 et des millions de déplacés, le régime de Bachar al-Assad ayant reconquis près des deux tiers du pays.

PHOTO DELIL SOULEIMAN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des membres des Forces démocratiques syriennes ont célébré leur victoire en dansant la dabké, une danse traditionnelle.