Les récentes stratégies de la Russie en Arctique ont ravivé le débat sur les intentions du pays et sur la place du Canada dans ce territoire nordique.

Fin janvier, le quotidien russe « Izvestia » annonçait que l'armée russe avait décidé de recommencer ses patrouilles au pôle Nord pour la première fois en 30 ans. Les patrouilles s'ajouteront aux passages réguliers de bombardiers qui se rendent jusqu'aux limites de l'espace aérien américain et canadien.

Whitney Lackenbauer, un spécialiste de l'Arctique et professeur d'histoire à l'Université de Waterloo, croit que le pays envoie manifestement « un message stratégique ».

La Russie renforce ses capacités civiles et militaires dans le Nord depuis une dizaine d'années.

Des bases militaires datant de l'ère soviétique ont été rénovées. Des observateurs de la politique étrangère ont dénombré quatre nouvelles équipes de combat de la brigade arctique, 14 nouveaux aérodromes opérationnels, 16 ports en eau profonde et 40 brise-glace, ainsi que 11 autres en construction.

Les patrouilles de bombardiers étaient plutôt stables. Le NORAD a signalé jusqu'à 20 observations et 19 interceptions par an.

Les infrastructures commerciales ont également augmenté. Un vaste nouveau champ gazier a été ouvert dans la péninsule de Yamal, sur la côte centrale de la Russie. Le contrôle et le développement de la route maritime du Nord - l'équivalent russe du passage du Nord-Ouest - ont été confiés à une agence du gouvernement central. Selon des agences de presse russes, le volume de fret devrait passer de 7,5 millions de tonnes en 2016 à 40 millions de tonnes en 2020.

Le Canada ne semble pas pouvoir se mesurer à cela.

Une route a été achevée sur la côte arctique à Tuktoyaktuk, dans les Territoires du Nord-Ouest, et des travaux sont en cours pour un port à Iqaluit, au Nunavut. Le premier navire de patrouille arctique a été instauré, la surveillance par satellite a été améliorée et un poste de ravitaillement en carburant a été construit sur l'île de Baffin.

Mais la plupart des ambitions en infrastructure ne sont pas réalisées dans le Nord.

Il n'existe aucune route praticable en toute saison dans la vallée du Mackenzie ou dans le centre-nord des Territoires du Nord-Ouest, riches en minéraux. Les besoins modernes, tels que l'internet à haute vitesse, ne sont toujours pas accessibles dans la plupart des régions du Nord. Et la construction d'un nouveau brise-glace a été retardée.

Le gouvernement libéral, qui est en fin de mandat, n'a pas encore déposé de politique officielle sur l'Arctique.

Le Canada invité à agir

Le Canada doit suivre le rythme, notamment parce qu'il ne peut pas compter sur l'ordre international actuel, a déclaré John Higginbotham, du Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale de l'Université de Waterloo.

« Si le système mondialisé se fragmente, nous aurons un monde de blocs. Les blocs auront le pouvoir de fermer les canaux d'expédition internationaux », a-t-il soutenu.

« C'est une erreur stratégique terrible pour le Canada d'abandonner sa propre route maritime. »

La domination de l'Arctique donnerait également à la Russie une carte puissante à jouer, a déclaré Rob Huebert du Centre d'études militaires et stratégiques de l'Université de Calgary.

« Cela vous donne de la présence, a-t-il expliqué. Chaque fois que des problèmes se produisent ailleurs - nous avons déjà vu le comportement des Russes - ils commencent à faire des survols d'autres pays pour faire pression. »

La Norvège, les pays baltes et le Royaume-Uni ont tous signalé une augmentation du nombre de violations de l'espace aérien, a déclaré M. Huebert.

Peu de gens s'attendent à ce que les troupes russes débarquent sur le pôle Nord. Le pays s'en tient au processus des Nations Unies pour tracer les frontières dans les eaux arctiques et est un membre productif du Conseil de l'Arctique.

« Il existe un débat animé sur le caractère offensif de leur position, a déclaré M. Lackenbauer. Les Russes insistent sur le fait qu'il s'agit d'une opération purement défensive. Elle offre également des possibilités pour une navigation sûre et sécurisée sur la route maritime du Nord. »

« Ils ne font rien de mal. »

« L'ours qui s'éveille »

Mais le Canada aurait tort d'ignorer l'ours qui s'éveille, a déclaré Ron Wallace, de l'Institut canadien des affaires mondiales à Calgary.

« Il est important que les Canadiens connaissent leur Arctique, l'Arctique circumpolaire et ce qui se passe dans le Nord », a-t-il souligné.

Le Canada a peu de chances de tirer grand profit du style de développement russe reposant sur le commandement et le contrôle, a indiqué M. Wallace, mais il y a des leçons à tirer. La combinaison d'infrastructures civiles et militaires en fait partie.

« C'est le genre de réflexion que je n'ai pas vue ici, mais c'est la réflexion que les Russes utilisent », a-t-il soutenu.

« Ils voient dans la route commerciale du Nord un prétexte pour établir des bases militaires en même temps qu'ils travaillent avec les Chinois afin d'ouvrir des routes commerciales pour l'exportation de leurs ressources. »

Cela aiderait également le gouvernement fédéral à remplir ses promesses à l'égard des gouvernements territoriaux, a déclaré M. Wallace.

« Quelque part au milieu, il y a une meilleure politique pour le nord du Canada. »