C’est la décennie qui aura vu les États-Unis passer de Barack Obama à Donald Trump, celle qui aura vu naître et mourir un califat dirigé par le groupe armé État islamique. Dix années de révoltes et de déceptions, marquées par des déplacements humains sans précédent, par une explosion des outils technologiques permettant de surveiller les citoyens et par la montée de deux grandes puissances : la Chine et la Russie.

Révoltes et déceptions

La décennie a débuté avec une cascade de révoltes balayant le monde arabe, de la Tunisie, qui a lancé le bal dès décembre 2010, jusqu’à la Syrie, où les premiers appels au changement se sont fait entendre en mars 2011, en passant par la Jordanie, l’Égypte, Bahreïn, la Libye et le Yémen. Ces vagues de protestation ont créé un courant d’espoir — mais ont abouti le plus souvent à des déceptions. La Tunisie reste l’exemple de démocratisation le plus positif. La Syrie et la Libye sont encore déchirées par des guerres civiles. Ailleurs, les pouvoirs contestés ont rapidement remis le couvercle sur la marmite.

Cela n’a pas empêché des peuples de se soulever à nouveau, alors que les années 2010 tirent à leur fin. Cette fois, les révoltes traversent plusieurs continents, de l’Amérique latine à l’Afrique du Nord, en passant par Haïti, le Liban, l’Irak et… la France, avec le mouvement des gilets jaunes. Chaque pays a sa problématique propre. Mais il y a aussi des frustrations communes contre les inégalités et l’isolement des élites, tous partis politiques confondus.

Migrations

Des embarcations de fortune sur la Méditerranée aux migrants qui traversent l’Amérique centrale vers les États-Unis, les années 2010 ont été marquées par une explosion du nombre de personnes déplacées, de réfugiés et de demandeurs d’asile. En 2018, ils ont dépassé 70 millions, du jamais-vu depuis la Seconde Guerre mondiale. C’est la guerre civile syrienne qui a propulsé le plus grand nombre de réfugiés sur les routes, phénomène qui a culminé en 2015, alors qu’un million de demandeurs d’asile ont tenté de rejoindre l’Europe.

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La photo d’un bambin, Aylan Kurdi, trouvé mort sur une plage turque, a déclenché un mouvement d’empathie envers les migrants. Mais les frontières se sont rapidement fermées sur leur route. 

Après un mouvement d’empathie, déclenché par l’image d’un bambin, Aylan Kurdi, trouvé mort sur une plage turque, les frontières se sont rapidement fermées sur la route des migrants, qui se sont cogné le nez sur des murs et des clôtures. À compter de 2016, l’effondrement de l’économie du Venezuela propulse plus de 3 millions de personnes sur les routes de l’exil : du jamais-vu en Amérique latine. La plupart mettent le cap au sud, vers la Colombie, le Pérou ou le Chili. L’explosion des migrations a aussi enclenché des contre-chocs politiques, alimentant la montée des partis populistes et de l’extrême droite.

Poussée du populisme

Au début des années 2000, quelque 120 millions d’habitants de la planète vivaient dans des pays dirigés par des leaders populistes. La tendance s’est accélérée dans les années 2010. Aujourd’hui, la quinzaine de pays dirigés par des populistes abritent 2 milliards d’habitants, selon une recherche réalisée pour le Guardian. La majorité de ces régimes logent sur la droite de l’échiquier politique. En plus des États-Unis de Donald Trump, plusieurs pays européens ont été touchés par cette montée des populistes de droite. En Autriche, en Italie, en Hongrie, en Pologne, ces partis ont pu rejoindre ou diriger des coalitions au pouvoir.

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Dans de nombreux pays, notamment en Europe, la tendance vers le populisme s’est accélérée au cours de la dernière décennie. Sur la photo, le politicien italien Matteo Salvini. 

Ailleurs, comme au Danemark, en Suède et en France, le mouvement gagne en popularité et exerce de plus en plus d’influence dans les débats politiques. Si l’année 2019 a été marquée par quelques reculs de l’extrême droite populiste, notamment au Danemark et en Autriche, les experts estiment que ce ne sont que des fluctuations ponctuelles et que la tendance de fond se maintiendra pendant la prochaine décennie. Autre constat : dans plusieurs pays, les populistes gagnent dans les régions rurales, alors que les populations urbaines restent plus progressistes et libérales. Un clivage qui risque de se maintenir au cours des années 2020.

La Russie s’impose

En 2011, au début de la guerre civile libyenne, Vladimir Poutine avait donné son accord à une intervention militaire internationale en Libye, croyant que celle-ci ne viserait pas un renversement du régime de Mouammar Kadhafi. Ce dernier a fini par perdre le pouvoir — et la vie — aux mains des rebelles appuyés par l’OTAN. C’était un tournant pour Moscou, qui s’est senti trahi et s’est réaligné depuis. D’abord en Ukraine, en appuyant les rebelles pro-russes contre le nouveau pouvoir pro-occidental à Kiev. Puis en Syrie, en soutenant massivement le régime de Bachar al-Assad contre les rebelles. L’appui militaire russe, dès 2015, a fait tourner l’équilibre des forces en faveur du régime syrien.

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La Russie de Vladimir Poutine a gagné en influence au Moyen-Orient. En Syrie, notamment, en soutenant massivement le régime de Bachar al-Assad contre les rebelles, l’appui militaire russe a fait tourner l’équilibre des forces en faveur du régime syrien.

En octobre dernier, à la suite du retrait des troupes américaines du Kurdistan syrien, la Russie a négocié un accord avec Ankara, pour le partage du contrôle de la frontière turco-syrienne. Moscou est devenu un acteur international de premier plan au Moyen-Orient. Mais pas seulement : la fin de la décennie est aussi marquée par une vaste opération de charme russe auprès de pays africains — soulignée par la tenue d’un sommet Russie-Afrique fin octobre 2019, à Sotchi.

Donald Trump au pouvoir

Le cinéaste Michael Moore, l’un des ténors de la gauche américaine, avait prévenu à l’été 2016 que Donald Trump allait gagner l’élection présidentielle de novembre alors que la plupart des spécialistes continuaient de prédire la victoire de son adversaire démocrate Hillary Clinton. Le manque de popularité de l’ex-secrétaire d’État dans son propre camp, la colère de « l’homme blanc » ainsi que la fragilisation économique d’États importants dans le nord du pays aideraient, disait-il, l’homme d’affaires à s’imposer. Sa prédiction, largement ignorée à l’époque, est devenue réalité quelques mois plus tard.

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Contre toute attente, Donald Trump a été élu président des États-Unis en octobre 2016. 

Le nouveau président a rapidement mis son empreinte sur la Maison-Blanche, multipliant les décisions controversées, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle internationale, tout en engageant une bataille sans merci avec les médias, régulièrement dépeints comme « les ennemis du peuple ». À l’approche d’un nouveau scrutin, les Américains sont plus que jamais divisés au sujet de leur chef d’État, qui pourrait fort bien obtenir un second mandat, selon Foreign Policy. Sa base politique demeure très mobilisée alors que le camp démocrate peine à trouver un candidat charismatique susceptible de lui donner la réplique, prévient la revue.

La vie privée menacée

L’été 2013 passera à l’histoire comme un moment-clé dans l’évolution des pratiques de surveillance du gouvernement américain. Edward Snowden, un ex-employé de la CIA travaillant pour la National Security Agency (NSA), dérobe des documents secrets mettant en lumière plusieurs programmes de collecte de données ignorés de la population. Les révélations du sonneur d’alarme, qui doit se réfugier en Russie pour échapper aux foudres de l’administration américaine, place Washington ainsi que plusieurs pays alliés sur la défensive et favorise une prise de conscience collective relativement aux risques d’atteinte à la vie privée soulevés par les nouvelles technologies de communications.

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Les révélations du lanceur d’alerte Edward Snowden en 2013 ont fait le tour du monde.

Le risque est de nouveau mis en relief quelques années plus tard lorsque Facebook se voit accusé d’avoir permis à une entreprise, Cambridge Analytica, de colliger une multitude de données sensibles sur des dizaines de millions d’utilisateurs de son populaire réseau social. Ces crises successives ont entraîné un durcissement de la régulation européenne relativement à la protection des données privées qui devrait trouver des échos dans plusieurs États occidentaux au cours des prochaines années.

Naissance (et mort) du califat

Les attentats du 11 septembre 2001 à New York avaient placé Al-Qaïda et son leader, Oussama ben Laden, au cœur des préoccupations des spécialistes de la lutte antiterroriste. Après la mort du Saoudien, tué par un commando américain au début de la décennie, son organisation a été largement supplantée dans les esprits par le groupe armé État islamique. Profitant du chaos suscité par les conflits en Irak et en Syrie, Abou Bakr al-Baghdadi et ses partisans s’emparent de vastes pans de territoire et annoncent en 2013 l’établissement d’un califat à cheval sur les deux pays.

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Abou Bakr al-Baghdadi et ses partisans se sont emparés de vastes pans de territoire de l’Irak (sur la photo) et de la Syrie en 2013 pour ensuite établir un califat à cheval sur les deux pays.

L’organisation, qui multiplie les exécutions publiques cruelles, s’étend et pilote des attentats dans plusieurs pays, attirant des milliers de djihadistes. Ce n’est finalement qu’au bout de cinq ans de lutte acharnée que le califat tombe et que son dirigeant est tué, ce qui a entraîné le retour du mouvement dans la clandestinité. Le groupe armé est loin d’être fini pour autant et pourrait profiter de l’intervention de la Turquie dans le nord-est de la Syrie pour se réorganiser et repartir à l’offensive.

La montée de la Chine

La République populaire de Chine, qui vient de célébrer son 70e anniversaire, a connu sur une période de 40 ans une croissance économique fulgurante, son produit intérieur brut augmentant de près de 10 % par an. Malgré un léger ralentissement, il a continué de croître fortement au cours de la dernière décennie et devrait permettre au pays, dans un avenir rapproché, de devancer les États-Unis pour devenir la plus importante économie du monde. Cette expansion économique, accompagnée d’une spectaculaire poussée technologique, ne s’est pas accompagnée de l’ouverture politique attendue.

Les organisations de défense des droits de la personne dénoncent notamment les abus commis par le régime contre les musulmans du Xinjiang, la répression du soulèvement à Hong Kong et l’instauration à grande échelle de systèmes de surveillance électronique aux accents orwelliens. La politique étrangère du pays, qui a des visées notamment sur la mer de Chine occidentale, est aussi source d’inquiétude pour plusieurs analystes, qui s’attendent à ce que de nouveaux foyers de tension émergent au cours des années qui viennent à mesure que le pays voit son pouvoir augmenter sur l’échiquier international.