Londres, Mexico ou Paris : née dans le port de Valparaiso, la chorégraphie d’un collectif féministe chilien, intitulée « Un violeur sur ton chemin », est en train de devenir un hymne mondial contre les violences faites aux femmes.

La danse, très codifiée et visuelle, est faite pour avoir un impact sur le spectateur et pour être diffusée le plus largement possible sur les réseaux sociaux.

Bandeau noir sur les yeux, un foulard autour du cou, les femmes sont alignées, les mots frappent, les gestes aussi.  

« Et ce n’était pas de ma faute, ni de l’endroit où je me trouvais, ni de comment j’étais habillée… le violeur, c’est toi ! », lancent-elles, doigt accusateur tendu vers l’avant. « Ce sont les flics, les juges, l’État, le Président. L’État oppresseur et un macho violeur », poursuivent-elles en levant les poings au ciel, croisés au-dessus de la tête.

Le premier « happening » du collectif « LasTesis » a eu lieu le 20 novembre dans les rues de Valparaiso, à 120 kilomètres de Santiago, la capitale chilienne.

Chorégraphie reproduite à grande échelle

La chanson et sa chorégraphie sont nées après une enquête sur le viol au Chili et s’inscrivaient dans le cadre d’un spectacle féministe plus large. Mais après l’éruption de protestations sociales au Chili et des informations faisant état d’agressions sexuelles perpétrées par des policiers contre les femmes, le groupe, qui reste discret, a décidé d’avancer sa première.

La crise actuelle au Chili, où les manifestants réclament une plus grande égalité sociale, a fait jusqu’à présent 23 morts et près de 5000 blessés.

Plus d’un millier de plaintes pour torture et mauvais traitements ont été déposées au parquet, et des dizaines de dossiers d’agressions sexuelles commises par des représentants des forces de l’ordre sont en cours d’instruction.

Cinq jours plus tard, le 25 novembre, la chorégraphie a été reproduite à plus grande échelle à Santiago, à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.

« Le patriarcat est un juge, qui nous condamne par le seul fait d’être nées (femmes), et notre châtiment, c’est la violence que tu ne vois pas. C’est le féminicide. L’impunité pour mon assassin. C’est la disparition. C’est le viol », dit encore la chanson.

En moins de 48 heures, « un violeur sur ton chemin » avait été traduite et des milliers de femmes scandaient « le violeur, c’est toi ! » à Paris, à Madrid, à New York ou à Berlin pour dénoncer le machisme ambiant.

« Problématiques transversales »

« Cette chanson est devenue cette “performance” à partir d’un appel lancé par plusieurs artistes scéniques de Valparaiso pour mener des interventions dans la rue », a expliqué le collectif « Las Tesis » dans une tribune libre publiée jeudi dans le magazine chilien The Clinic.

« Il semble que, mondialement, nous percevons les mêmes sensations sur nos corps et que nous avons les mêmes expériences de vie. Et finalement, tout cela se transforme en un grand chant », ajoute le groupe composé des artistes Sibila Sotomayor et Dafne Valdés, de la créatrice de mode Paula Cometa et de la costumière Lea Caceres, toutes âgées de 31 ans.

Les quatre jeunes femmes se définissent comme « un collectif interdisciplinaire de femmes qui abordent à travers des spectacles les problématiques de genre avec un point de vue féministe ». Un de leurs premiers spectacles était basé sur des textes de l’Italo-Américaine Silvia Federici, une militante féministe radicale. Actuellement, elles disent travailler sur des textes d’auteurs sud-américaines, comme l’Argentine Rita Segato.

Mercredi soir encore, quelque 10 000 Chiliennes âgées de plus de 40 ans se sont réunies devant le stade national de Santiago pour une version « senior » de la chorégraphie.

« Ce fut une belle expérience de partager ça avec des milliers et des milliers de femmes, la plupart plus âgées, certaines âgées de 90 ans et en fauteuil roulant », a déclaré à l’AFP Jacqueline Saintard, une économiste de 66 ans.

« C’est terrible de voir que les problématiques qui sont abordées dans cette chanson continuent d’être transversales au niveau de la société, ici et un peu partout », conclut le texte de « LasTesis » publié jeudi.

Selon les données de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), les violences sexistes ont coûté la vie à au moins 3529 femmes dans 25 pays en 2018.