Tous ceux qui s'intéressent aux questions soulevées par la saisie de relevés téléphoniques de l'agence Associated Press par le ministère de la Justice doivent lire l'article que signe aujourd'hui Walter Pincus dans le Washington Post. Le vétéran journaliste, qui se spécialise dans les questions de sécurité nationale, explique en termes limpides comment les informations confidentielles obtenues par l'AP ont obligé la CIA d'interrompre une opération aussi ingénieuse qu'importante et comment l'agence de presse a donné une interprétation discutable, voire fausse, des informations dont elle a bénéficié.

Pincus établit d'emblée l'illégalité de la fuite qui a permis à l'AP d'écrire en mai 2012 qu'une opération de la CIA au Yémen avait déjoué un complot d'Al-Qaïda visant à faire exploser un avion de ligne américain. Comme l'explique le journaliste, l'un des objectifs principaux de cette opération n'était pas de déjouer un complot mais de neutraliser le chef opérationnel d'Al-Qaïda pour la péninsule arabique, Fahd Mohammed Ahmed Al-Quso.

Al-Quso a été tué par un drone le 6 mai 2012, soit une journée avant la parution de l'article de l'AP. L'agence de presse avait acquiescé à la demande du gouvernement de retarder la publication de cet article.

L'autre but de l'opération était de neutraliser l'expert des explosifs d'Al-Qaïda au Yémen, le Saoudien Ibrahim Al-Asiri, qui a notamment réalisé la bombe placée dans les sous-vêtements du Nigérian Umar Farouk Abdulmutallab, en décembre 2009.

Selon Pincus, la CIA a mis fin à cette opération impliquant les renseignements britanniques et saoudiens dès après avoir eu vent de la fuite à l'AP.

L'article publié par l'AP le 7 mai était loin d'être complet. Il ne mentionnait pas que la CIA avait reçu la bombe fabriquée par Al-Asiri qui devait être utilisée dans l'attentat contre l'avion américain. Il passait également outre le rôle d'un agent secret saoudien ayant réussi à s'infiltrer au sein d'une cellule d'Al-Qaïda au Yémen. Celui-ci s'était porté volontaire pour faire exploser la bombe qu'Al-Asiri allait lui fabriquer.

Or, dans son article du 7 mai, l'AP a présenté ce complot instigué par l'agent saoudien travaillant de concert avec la CIA comme une contradiction flagrante d'une déclaration du porte-parole de la Maison-Blanche Jay Carney. Celui-ci avait affirmé que le gouvernement américain n'était pas au courant d'un complot d'Al-Qaïda contre les États-Unis autour du premier anniversaire de la mort d'Oussama ben Laden.

La patron de l'AP, Gary Pruitt, a de nouveau accusé Carney dimanche dernier d'avoir trompé les Américains sur cette question il y a un. Autrement dit, Pruitt aurait voulu que Carney reconnaisse publiquement le rôle de la CIA et de ses alliés dans une opération qui était encore en cours au Yémen!

Selon Pincus, le ministère de la Justice n'avait pas le choix: il se devait d'enquêter sur la fuite à l'AP. A-t-il été trop loin en procédant à une saisie secrète de relevés téléphoniques de l'agence? Le journaliste du Post affirme que l'enquête aurait pu être retardée pendant des années si l'AP avait pu contester la saisie devant les tribunaux.

«Il n'y a pas de héros dans cette histoire», écrit Pincus en se montrant particulièrement critique à l'égard des journalistes qui crient à la violation de la liberté de presse dans cette affaire.