Le Sénat pourrait adopter dès ce soir ou demain le projet de «réforme fiscale» présenté par la majorité républicaine, ouvrant la voie à l'adoption par les deux chambres du Congrès d'une baisse d'impôts de 1 500 milliards de dollars sur dix ans avant Noël. Au moment d'écrire ces lignes, la sénatrice du Maine Susan Collins faisait partie d'un petit groupe de républicains indécis ou discrets sur la façon dont ils entendent voter.

Cette «réforme» risque néanmoins d'être adoptée par les deux chambres du Congrès après un examen d'à peine un mois, alors que celle de Reagan en 1986 avait vu le jour après deux ans d'auditions, d'analyses et de débats publics et bipartites. La précipitation avec laquelle les républicains du Sénat procèdent aujourd'hui est en soi suspecte.

Il en va de même des arguments offerts par les républicains pour défendre cette «réforme», qui n'en est pas vraiment une. Le plus important de leurs arguments sert à justifier un objectif commun aux projets de loi du Sénat et de la Chambre des représentants: abaisser le taux d'imposition des entreprises à 20%, contre 35% aujourd'hui. Selon les républicains, cette baisse d'impôts permettrait aux entreprises de procéder à de nouveaux investissements et, partant, de créer de nouveaux emplois et d'augmenter les salaires des travailleurs.

Mais qu'en serait-il en réalité? Hier, Bloomberg a fourni une réponse à cette question en concluant que de grandes entreprises comme Cisco, Pfizer et Coca-Cola verseraient à leurs actionnaires la plus grande partie des bénéfices qu'ils tireraient de leurs baisses d'impôts. De toute façon, a rappelé un analyste financier à Bloomberg, les entreprises disposent déjà de liquidités très importantes dont elles pourraient se servir pour investir si elles le désiraient. Or, leurs actionnaires demeurent leurs priorités.

L'ancien PDG de l'entreprise de logiciels Brightcove, David Mendels, s'étonne de l'approche des républicains. Dans une entrevue à Politico, il a déclaré : «Franchement, je pense qu'ils sont cinglés. Cela ne fonctionne pas de cette façon. Aucun PDG ne dit: 'Quand je recevrai mes baisses d'impôts, j'embaucherai plus de personnes et j'augmenterai les salaires'.»

Les républicains sont-ils cinglés ou tout simplement cyniques? Ils seraient cyniques si leur théorie du ruissellement ne servait qu'à camoufler leur objectif réel : enrichir encore davantage les Américains les plus fortunés, y compris leurs donateurs.

Or, s'il faut en croire les études et les économistes les plus sérieux, il semble que cela soit bel et bien le cas. Selon le projet de réforme du Sénat, la classe moyenne verrait ses impôts augmenter en 2027, alors que les plus riches continueraient à recevoir des baisses d'impôts. En fait, dès 2019, 38% des Américains ne verraient pas de changement par rapport aux montants d'impôts qu'ils versent aujourd'hui ou subiraient une augmentation d'impôts, selon une analyse du Joint Committee on Taxation, LA référence du Congrès en la matière. Ces Américains font partie de la classe moyenne que les républicains se targuent de vouloir aider.

Dans leur précipitation, les républicains sont peut-être en train d'adopter un projet de loi qu'ils ne comprennent pas. Ils ne seraient donc pas cinglés ou cyniques mais irresponsables. Il faut savoir que le département du Trésor n'a pas produit l'analyse permettant de confirmer la promesse extraordinaire de son chef, Steve Mnuchin, selon laquelle les baisses d'impôts s'autofinanceront. En fait, le Joint Committee on Taxation vient tout juste d'estimer que les baisses d'impôts, même en tenant compte de leur effet sur la croissance économique,ajouteraient 1 000 milliards de dollars aux déficits sur dix ans.

Les sénateurs pourraient donc être appelés à voter dès ce soir sur un document de 515 pages déposé IL Y A UNE SEMAINE seulement sans avoir reconnu son impact réel sur l'économie.

Il faut donc se fier à la parole de John McCain, qui a annoncé son appui au projet de réforme en disant que la procédure normale devant mener à son adoption a été suivie, un mensonge éhonté. Il faut donc se fier à la parole de Bob Corker, qui a annoncé son appui au projet de réforme même s'il a déjà dit qu'il ne voterait jamais pour des baisses d'impôts susceptibles d'ajouter un seul sou au déficit, un autre mensonge.

Il faut donc se fier à la parole de Donald Trump, qui a déclaré hier que le projet de réforme du Sénat coûterait «une fortune» à sa famille alors qu'elle a été conçue pour enrichir encore davantage des milliardaires comme lui.

«Croyez-moi, ce n'est pas bon pour moi», a-t-il dit lors d'un discours décousu au Missouri.

C'est la somme de tous les mensonges que les républicains tentent de faire avaler au public américain avant le vote du Sénat. C'est la somme de tous les mensonges qui pourraient contribuer à endetter les générations futures sans raison valable et entraîner des coupes sombres dans les services sociaux au nom de la rigueur budgétaire!

Les républicains ont une majorité de 52 sièges contre 48 au Sénat.