Désolé de cette analyse tardive du discours sur l'état de l'Union. J'ai subi très tôt ce matin une coloscopie. C'était presque aussi agréable que d'entendre la voix parfois endormie du président. Je blague, bien sûr.

Donald Trump - ou plutôt «Teleprompter Trump», comme plusieurs journalistes l'ont appelé - a prononcé une allocution de plus de 80 minutes qui ne correspondait pas au personnage abrasif, clivant et impopulaire que les Américains ont appris à connaître au cours de sa première année de sa présidence. S'en tenant largement au texte de son discours, il a lancé un appel à l'unité, exhortant la classe politique à mettre de côté ses différends. Il a aussi fait vibrer la fibre patriotique des Américains en vantant le courage de citoyens ordinaires face aux catastrophes naturelles ou humaines qui ont frappé leur pays. Et il s'est félicité du rendement de l'économie, qui semble lui avoir fait oublier le «carnage américain» qu'il décrivait il y un an seulement lors de son discours d'investiture.

Trump est aussi bon vendeur que showman, et sa performance pourrait tirer vers le haut sa cote de popularité, la pire pour un président américain à ce stade-ci de son mandat depuis les années 1950. Mais il a raté plusieurs occasions de jouer les vrais rassembleurs. Et il n'a proposé aucun programme susceptible de rallier républicains et démocrates dans un avenir rapproché.

Un vrai rassembleur aurait peut-être profité du discours sur l'état de l'Union pour reconnaître que les succès de l'économie américaine ou de la lutte contre le groupe État islamique ne sont pas seulement attribuables à ses politiques. Rappel : l'économie américaine a créé un plus grand nombre d'emplois lors de la dernière année de Barack Obama à la Maison-Blanche (187 000 par mois) que lors de la première année de Donald Trump à la présidence (174 000 par mois). Autre rappel : l'indice Dow Jones a augmenté de 61% au cours des dix premiers mois de la présidence d'Obama, un rendement trois fois supérieur à sa hausse au cours de la même période sous Trump (Obama ne s'en est jamais vanté, sachant que les marchés boursiers peuvent monter sans qu'une partie importante de la population puisse en profiter - et qu'ils peuvent aussi redescendre).

Si le 45e président ne pouvait rendre le moindre hommage au 44e pour la situation économique dont il a hérité, il aurait sans doute pu reconnaître que la stratégie de son prédécesseur pour combattre l'EI a contribué à réduire à presque rien le contrôle du groupe terroriste sur certaines régions de la Syrie ou de l'Irak. Il ne l'a pas fait.

Un vrai rassembleur n'aurait surtout pas choisi la façon la plus négative qui soit pour aborder la question qui divise le plus Washington ces jours-ci, l'immigration. À entendre Donald Trump, l'immigration n'est pas ce qui définit les États-Unis depuis toujours, ce n'est pas ce qui a permis à ce pays de conserver sa jeunesse, son dynamisme et sa créativité. C'est un phénomène qui expose les États-Unis à la criminalité ou au terrorisme en raison de politiques qui doivent être changées. Consacrant une longue partie de son discours à la violence du groupe criminel MS-13, le président a promis de défendre les siens en ajoutant : «Les Américains sont également des rêveurs».

La formulation renvoyait aux «Dreamers», dont les rêves se sont ainsi retrouvés mêlés aux exactions des membres du MS-13 et de l'EI. Elle n'a pas dû être bien reçue par les démocrates, qui ont déjà exprimé leur opposition à la proposition du président de régulariser le statut de ces jeunes clandestins en échange d'une série de mesures restrictionnistes.

Le plan d'infrastructure de Donald Trump ne devrait pas connaître un meilleur sort. Le président a parlé de projets totalisant 1 500 milliards de dollars. Or, seulement 200 milliards proviendraient du gouvernement, le reste devant être versés par des entreprises privées qui voudront rentabiliser leurs investissements en faisant payer les contribuables deux fois plutôt qu'une.

Après une première année à la Maison-Blanche où Donald Trump a ignoré les démocrates du Congrès pour tenter d'abroger l'Obamacare et obtenir une réforme fiscale favorisant les entreprises et les plus fortunés, il faut donc prendre avec un grain de sel son appel à l'unité. D'autant plus que «Teleprompter Trump» retrouvera bientôt son téléphone intelligent et cédera la place à «Twitter Trump».

Je reviendrai dans un autre billet sur la Corée du Nord, un ds rares sujets internationaux abordés par le président hier.