Bonnet rose sur la tête, jusqu'à deux millions de personnes, femmes surtout, ont participé samedi aux Etats-Unis et dans le monde aux «Marches des femmes» organisées pour la défense des droits civiques et contre le président républicain Donald Trump.

Un demi-million de manifestants à Los Angeles selon la police, plus d'un million à Washington, selon les organisateurs, et des centaines de milliers à New York, Chicago, Boston et dans des dizaines de villes américaines: le succès a dépassé les espérances des marcheuses et marcheurs, une démonstration de force qui illustre les fractures persistantes de la société américaine face au 45e président, investi vendredi dans la capitale fédérale.

Face aux comparaisons peu avantageuses faites avec la participation à la cérémonie de la veille, le milliardaire a critiqué samedi les médias qui ont selon lui menti sur le nombre de ses partisans ayant fait le déplacement.

«J'ai fait un discours, j'ai regardé, et cela avait l'air d'un million, un million et demi de personnes», a-t-il affirmé contre toute évidence à l'occasion d'une visite au siège de le CIA.

Les autorités de la capitale ont pour règle de ne pas communiquer d'estimations de foules afin d'éviter toute polémique partisane. La seule façon de les estimer est de comparer les photos aériennes, qui montrent que l'investiture du républicain n'a rassemblé que quelques centaines de milliers de personnes, et indiscutablement moins que pour Barack Obama en 2009.

Le porte-parole de la Maison-Blanche, Sean Spicer, a convoqué une conférence de presse samedi en fin de journée pour tancer les médias, et clamer que les chiffres de vendredi étaient en réalité élevés, mais que des mesures de sécurité nouvelles, par rapport aux investitures précédentes, avaient pu restreindre la participation.

Mais l'image du jour restait la marée humaine qui a envahi le centre de la capitale, dans une atmosphère bon enfant où les poussettes étaient nombreuses.

Selon les organisateurs de la «Marche des femmes» à Washington, un million de manifestants ont battu le pavé, un chiffre qui n'a pas été confirmé indépendamment.

Nombre de marcheurs venaient de Washington ou de ses banlieues, un bastion démocrate.

Beaucoup ont fait le déplacement motivés par la peur que Donald Trump nomme un nouveau juge conservateur à la Cour suprême, ce qui pourrait conduire un jour à la remise en cause du droit à l'avortement.

«Il faut que l'avortement reste légal», plaidait Joan Davis, professeure d'histoire à la retraite vivant à Washington. «C'est vraiment un droit qu'on pourrait perdre, cela nous ramènerait au Moyen-Âge».

Mais les slogans incluaient aussi la tolérance pour les minorités, l'accès à la contraception et la défense du planning familial, la protection de l'environnement, l'accueil des réfugiés...

Washington en rose

Les organisateurs ont été visiblement débordés par le succès car les manifestants ont envahi pacifiquement des rues autour de la Maison-Blanche s'écartant de l'itinéraire prévu, aux cris de «Hey hey, ho ho, Donald Trump doit partir!» ou «Nous sommes le suffrage populaire».

Une partie du centre-ville autour de la résidence du président était complètement paralysé pendant plusieurs heures, avec des véhicules bloqués au milieu de la chaussée.

«Bienvenue à ton premier jour» scandaient des manifestants près des grilles de la Maison-Blanche.

La marche était l'une des plus grandes manifestations de l'histoire de la capitale, qui n'a voté qu'à hauteur de 4% pour le républicain en novembre.

Les métros étaient bondés, avec plus d'usagers que le jour de la seconde investiture de Barack Obama en 2013, selon NBC.

La foule a débordé de l'Independence Avenue, pleine à craquer sur 1,5 km, où le rassemblement initial avait lieu. Les manifestants ont envahi les pelouses du National Mall voisin, l'esplanade du centre où les foules avaient assisté à l'investiture face au Capitole.

Un aréopage de personnalités progressistes a pris la parole: le cinéaste Michael Moore, les actrices America Ferrara et Scarlett Johansson, la chanteuse Alicia Keys ainsi que Madonna, qui a fait une apparition surprise sur scène pour appeler à une «révolution de l'amour» et chanter deux chansons.

Beaucoup de manifestants portaient des bonnets roses à oreilles de chat («pussy hats»), devenus le symbole de l'opposition à Donald Trump, qui s'était vanté en 2005 «d'attraper» les femmes «par la chatte».

Partout dans le monde

Plus de 600 marches avaient été annoncées dans le monde.

A Londres, 100 000 personnes ont défilé selon les organisateurs. Ils étaient aussi des milliers à Sydney, 7000 à Paris, 4000 à Amsterdam, 2500 à Genève, 2000 à Montréal, près d'un millier à Tel Aviv, et des centaines à Berlin, Barcelone, Rome ou encore Prague.

«C'est comme ça que les gens ont mis fin à la guerre du Vietnam», a lancé Whoopi Goldberg à New York, où les marcheurs ont remonté la Cinquième Avenue presque jusque sous les fenêtres de la Trump Tower, dont l'accès était bloqué par la police.

Hillary Clinton a tweeté: «L'espoir, pas la peur (...) Merci de vous lever, de vous exprimer et de marcher pour nos valeurs».

Donald Trump n'a pas directement commenté ces manifestations.

Il a assisté samedi matin à un office oecuménique à la cathédrale de Washington. Puis la famille présidentielle a joué au bowling à la Maison-Blanche, a indiqué sur Twitter son fils Donald Jr.

Le président s'est rendu l'après-midi au siège de la CIA, en banlieue de Washington, où il assuré aux agents qu'il était «à 1.000%» derrière eux, tentant d'apaiser la polémique née de ses propos très critiques à l'encontre de l'agence de renseignement

Des centaines de Canadiennes à Washington

Des centaines de femmes canadiennes ont déferlé dans les rues de Washington, brandissant des pancartes sur lesquelles figuraient des feuilles d'érable et l'expression «soeurs de nord».

Des résidants de la capitale américaine sortaient sur leur portique pour lancer des mots d'encouragement ou pour croquer des photos de la foule. D'autres distribuaient gratuitement du café.

Une femme a indiqué à un homme qui se trouvait sur un des portiques qu'elle et ses amies étaient venues du Canada. «Vraiment?», a-t-il répondu, incrédule.

Environ 600 Canadiens - pour la plupart des femmes - ont fait le voyage en autobus pendant la nuit à destination de Washington, partant de Toronto, Montréal, d'Ottawa et de Windsor.

Plusieurs Canadiens qui participaient à la marche de samedi ont confié à La Presse canadienne qu'ils avaient senti l'urgence d'intervenir dans la foulée des commentaires controversés lancés par Donald Trump durant la campagne électorale.

Bon nombre de femmes se sont senties marginalisées, a fait valoir Sadaf Jamal, une Canadienne de 38 ans qui a dit vouloir aider celles-ci à «se lever fièrement».

«Je suis une femme musulmane et c'est pourquoi je marche, parce que je veux donner le pouvoir aux femmes musulmanes», a-t-elle dit alors qu'elle était à bord de l'autobus parti de Toronto pour se rendre dans la capitale américaine.

«Pourquoi serions-nous marginalisées? Il n'y a rien de mal avec nous. Nous sommes des femmes talentueuses, courageuses. Nous pouvons être ce que nous voulons.»

D'autres Canadiens désireux de joindre le rassemblement de Washington ont toutefois été refoulés à la frontière, a indiqué une militante québécoise, Katina Binette, qui affirme avoir reçu un appel d'amies qui ont dû rebrousser chemin. Les trois, «jeunes dans la vingtaine» qui étaient dans un même véhicule, «n'ont aucun antécédent», a-t-elle précisé.

«On les a refoulées à la frontière (...) prenant leurs empreintes, leurs photos, leur demandant où ils allaient. Elles ont mentionné qu'elles allaient à la marche des femmes et (les agents) leur ont demandé s'elles étaient pour ou contre (le) président.»

Toutes trois sont restées coincées pendant une heure et demie à la douane, a rapporté Mme Binette, qui a aussi fait le trajet en voiture avec quatre autres personnes.

«C'est des personnes qui militent en plus: une coordonnatrice d'une organisation de défense des droits de la personne», a-t-elle dit au sujet de ses amies qui n'ont pas pu se rendre à la marche.

Une citoyenne canado-américaine, Elizabeth Wolfenden, a confié avoir pleuré pendant des heures quand Donald Trump a été élu, en novembre.

La jeune femme de 18 ans, dont plusieurs proches demeurent toujours aux États-Unis, a expliqué qu'elle entreprenait d'abord faire le trajet avec sa mère. Elle a toutefois décidé d'y aller seule alors que sa mère est blessée.

«Je veux seulement vraiment prendre part à l'histoire», a dit celle qui effectue son premier voyage en solo.

«Je pense que ce sera historique et je veux dire que j'y étais, que j'ai fait quelque chose, que j'ai tenté de faire une différence et que j'ai laissé ma voix être entendue ainsi que j'ai joint un mouvement qui, je pense, est vraiment important.»

- Avec La Presse canadienne

De Sydney à Londres

«Virons Trump» : en écho à la «Marche des femmes» de Washington, des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées samedi dans plusieurs villes du monde, dont Sydney, Londres ou Paris.

Comme aux États-Unis, où des centaines de milliers de personnes se sont rassemblées à Washington et plusieurs villes du pays, une grande manifestation a eu lieu à Londres sur l'emblématique Trafalgar Square. Les rues environnantes étaient noires de monde, les organisateurs revendiquant 100 000 participants.

Parmi eux et comme de nombreux autres ailleurs dans le monde, Hannah Bryant, une employée de musée, portait un «pussy hat», bonnet rose à oreilles de chats spécialement tricoté pour l'occasion et devenu le symbole de l'opposition à Donald Trump.

Car «pussy», désignant en anglais un chat ou un sexe féminin, est le mot utilisé par Donald Trump dans une vidéo qui avait fait scandale en octobre. Le milliardaire s'y vantait de pouvoir se payer les femmes qu'il voulait et de les «attraper par la chatte».

Écoeuré, Oliver Powell, un acteur de 31 ans, veut «que la majorité des Américains qui n'ont pas voté pour lui sachent qu'on les soutient dans le monde entier».

D'autres veulent croire au sursaut. «Pour moi cette manifestation porte un message d'espoir», a estimé Sarah Macdonald, une chef d'entreprise de 51 ans. «Ça va galvaniser les partis progressistes, démocrates et les partis de gauche qui dans ce pays ont connu l'échec dans les urnes.

Les «pussy hats» étaient de mise aussi à Paris, où environ 7000 personnes ont manifesté sur l'esplanade du Trocadéro, avec la Tour Eiffel en toile de fond, au milieu de drapeaux américains.

Parmi eux, de nombreuses femmes, dont Andreia Rossi, Brésilienne de 39 ans, venue protester «contre tout ce que Trump représente, contre le fascisme, l'extrême droite. C'est très dangereux, il a menti à ceux qui l'ont élu et ça peut arriver en France».

«On pense aux personnes noires, gaies, lesbiennes, trans, et aux femmes qui vont devoir vivre au moins quatre ans avec un président qui est contre leurs droits et donc leur existence», s'est insurgée à Montpellier un militant de l'association homosexuelle «Les soeurs de la perpétuelle indulgence», travesti en religieuse comme il se doit.

«Menteur en chef»

«Trump, Liar in chief» («Trump, menteur en chef»), proclamait aussi une pancarte d'une autre manifestation en France, à Marseille (sud-est).

Émanant au départ d'un simple appel sur Facebook d'une retraitée américaine, la marche a trouvé d'autres échos en Europe.

À Amsterdam, où quelque 4000 personnes ont brandi des banderoles devant le consulat américain clamant en anglais ««Pussies» contre la haine, le racisme, le sexisme et la peur», «Make America Sane Again» («Rendre à l'Amérique sa raison», en référence au slogan de Trump durant la campagne électorale «Make America Great Again», rendre à l'Amérique sa grandeur), selon la page Facebook de l'événement.

À Genève, quelque 2500 hommes et femmes de tous âges ont aussi bravé le froid pour clamer en anglais «Des ponts pas des murs», «La résistance est un devoir quand l'injustice devient la loi» ou encore «Le changement climatique est réel» sur des pancartes.

Ils étaient environ 700 personnes à Berlin devant la porte de Brandebourg, en face de l'ambassade des États-Unis, entre 400 et 500 femmes à Rome devant le Panthéon et quelque 700 à Barcelone, où certaines portaient des pancartes avec des slogans en anglais comme «He is not my president» (Il n'est pas mon président).

«Trump est une honte pour l'Amérique», «Non à la violence contre les femmes», proclamaient à Lisbonne des pancartes agitées par plusieurs centaines d'Américains et Portugais devant l'ambassade des États-Unis.

«Il ne représente que les riches et les blancs, il détruit tout ce que Obama a fait en huit ans», s'est emportée Terri Blakley, une retraitée américaine de 66 ans.

À Prague, le jeune chanteur Adam Misik, idole des adolescents tchèques, a entonné la chanson «Let It Be» des Beatles, reprise en choeur par les quelque 300 manifestants qui brandissaient des caricatures de Trump et du président russe Vladimir Poutine, qui passe pour satisfait du nouveau locataire de la Maison-Blanche.

L'appel a aussi été entendu en Afrique du Sud où une centaine de personnes s'est mobilisée à Durban, scandant notamment «dans notre Amérique, nous sommes tous égaux».

Auparavant, l'Australie et la Nouvelle-Zélande avaient ouvert le bal avec des milliers de personnes à Sydney et Melbourne, ainsi qu'à Wellington et Auckland, pour dénoncer le mépris régulièrement montré, selon elles, par Trump envers les femmes.