Une fuite de 11,5 millions de documents émanant du cabinet d'avocats panaméen Mossak Fonseca, la plus importante jamais survenue dans l'univers des paradis fiscaux, a levé le voile sur l'utilisation de ces refuges par d'importants chefs d'État, athlètes professionnels, milliardaires et criminels.

QU'EST-CE QUE LES PANAMA PAPERS ?

C'est ainsi que l'on surnomme l'ensemble de ces données, qui totalisent 2600 gigaoctets, soit 10 fois plus que la deuxième fuite en importance. Les câbles WikiLeaks, qui avaient dévoilé de multiples secrets internationaux en 2010, ne totalisaient que 1,7 Go de données. Ces données vont de 1977 à 2015.  « Je crois que cette fuite se révélera comme la plus importante de l'histoire en raison de l'étendue des documents », a déclaré à la BBC Gerard Ryle, directeur de l'International Consortium of Investigating Journalists (ICIJ). Les documents couvrent tous les jours ouvrables de l'entreprise Mossack Fonseca des 40 dernières années.

D'OÙ VIENNENT-ILS ?

Le Panama est l'un des pays les plus opaques dans l'économie mondiale. Pour sa part, la firme Mossak Fonseca a été créée au Panama en 1977 et compte des bureaux dans 35 pays, en grande partie des paradis fiscaux. Elle est au coeur de divers stratagèmes liés aux paradis fiscaux.

COMMENT ONT-ILS ÉTÉ RENDUS PUBLICS ?

Les documents ont d'abord été fournis à un quotidien allemand qui enquêtait sur ce cabinet, puis remis au Consortium international des journalistes d'enquête. Environ 370 journalistes de 107 médias dans 76 pays ont travaillé à les décortiquer. Au Canada, seuls Radio-Canada et le Toronto Star y ont eu accès. « C'est la plus grosse fuite de l'histoire. On y trouve non seulement des gens qui font de l'évasion fiscale, mais aussi des criminels tentant de dissimuler leurs crimes, des dictateurs et des autocrates transférant des fonds publics à l'étranger et des collectionneurs d'art cherchant à camoufler la propriété de certains tableaux », a affirmé à Radio-Canada Frederik Obermaier, un des journalistes allemands qui ont obtenu les données.

IMPLIQUENT-ILS DES CANADIENS ?

D'abord, aucune personnalité canadienne de premier plan ne figure sur la liste, selon ce qu'a pu observer Radio-Canada, qui rapporte que la liste de noms est plutôt mixte. Parmi les Canadiens impliqués, on retrouve des dirigeants de sociétés minières et pétrolières, des avocats, des entrepreneurs et plusieurs fraudeurs.

ET LES ENTREPRISES CANADIENNES ?

Toujours selon Radio-Canada, la Banque Royale du Canada (RBC) et ses filiales ont utilisé les services de Mossak Fonseca pour faire créer 370 sociétés-écrans au profit de leurs clients. En tout, Mossak Fonseca en aurait créé plus de 214 000 un peu partout sur la planète.

DE NOMBREUSES PERSONNALITÉS POLITIQUES  

Il y aurait 128 politiciens liés à des sociétés enregistrées dans des paradis fiscaux.

De proches collaborateurs du président russe Vladimir Poutine auraient détourné jusqu'à 2 milliards de dollars avec l'aide de banques et de sociétés-écran, selon l'ICIJ. « Des associés de Poutine ont falsifié des paiements, antidaté des documents et obtenu de l'influence occulte auprès des médias et de l'industrie automobile russes », le consortium sur son site internet. M. Poutine et des amis se sont associés dans les années 90 et ont mis en commun une partie de leur fortune, rapporte le quotidien Le Monde. Tous devenus ministres ou milliardaires sous Poutine, ils ont fait preuve d'une inventivité surprenante pour sortir des sommes du pays, comme des crédits accordés par des banques publiques russes et jamais remboursés, des prêts transférés de main en main dont la trace est perdue, des honoraires salés en échange de présumés « conseils », etc. L'enquête met également en lumière le rôle du violoncelliste professionnel Sergueï Roldouguine, parrain de la fille Maria du président russe. Sept sociétés établies dans des paradis fiscaux lui sont liées, toutes indirectement gérées par la banque Bank Rossia, un cabinet d'avocats en Suisse qui sert de paravent.

• Le premier ministre de l'Islande Sigmundur Davio Gunnlaugsson

• Le premier ministre pakistanais Nawaz Sharif

• Le roi d'Arabie Saoudite Salmane Ben Abdel Aziz Al Saud

• Le président ukrainien Petro Porochenko

DANS LE MONDE DU SPORT

• Michel Platini, ancien président de l'UEFA

• Lionel Messi, attaquant du FC Barcelone, possiblement le meilleur joueur de soccer au monde, qui fait déjà l'objet d'une enquête en Espagne pour fraude fiscale

• Une vingtaine d'autres joueurs de soccer de haut niveau

• Un membre du comité d'éthique de la FIFA, Juan Pedro Damiani

• Onze retraités de la LNH, selon le Irish Times, l'un des médias ayant eu accès aux données

• Cinq golfeurs, dont Nick Faldo, toujours selon le Irish Times

POURRA-T-ON UN JOUR CONSULTER CES DONNÉES ?

Le Consortium promet de rendre disponible la liste des sociétés et des personnes qui y sont liées sur son site web le mois prochain.

QU'EST-CE QU'UN PARADIS FISCAL ?

Il n'est pas toujours illégal d'utiliser les paradis fiscaux. Or, souvent, leur utilisation sert à dissimuler des activités frauduleuses (évasion fiscale ou blanchiment d'argent) en cachant l'identité des véritables propriétaires ainsi que la provenance de l'argent qui y est placé.

Une société coquille - aussi appelée société-écran - est une entreprise dormante, qui n'a pas d'actifs réels. En résumé, une entreprise établie dans un pays à haute fiscalité crée une société-écran dans un pays à basse fiscalité et fait endosser les bénéfices par cette dernière. Pour une entreprise mal intentionnée, l'administrateur déclaré peut être un comptable, une ex-femme ou même le concierge. Ces prête-noms ne font que signer certains documents et acceptent, par exemple, que leur nom apparaisse sur les en-têtes. La véritable tête de l'entreprise devient alors difficile à identifier.

Inévitablement, les malfrats voudront établir leur coquille à l'extérieur de leur pays, là où se trouve un centre financier offshore, ce qu'on appelle souvent le paradis fiscal. Il s'agit d'un endroit organisé par un État qui suit des règles différentes pour ses résidants et les non-résidants. En échange de devises, ces centres offrent des services de gestion financière spécifiques à une clientèle étrangère, avec une fiscalité très faible (voire inexistante), peu de formalités et beaucoup de discrétion.