Après des années d'enquête et de rebondissements, l'affaire Bettencourt se retrouve finalement devant les tribunaux français. Une dizaine de personnes sont accusées d'avoir abusé, à des degrés divers, de la riche héritière de L'Oréal dans ce procès d'envergure qui s'est ouvert hier par l'annonce de la tentative de suicide de l'un des prévenus. Retour, en cinq temps sur cette affaire.

LA GENÈSE

Liliane Bettencourt est l'une des femmes les plus riches de France. En 2007, sa fille, Françoise Bettencourt-Meyers, crée une véritable tempête médiatique lorsqu'elle porte plainte à la police contre un photographe bien connu, François-Marie Banier. Elle l'accuse d'avoir profité de la faiblesse psychologique croissante de sa mère pour lui soutirer des centaines de millions d'euros sous forme d'argent liquide, d'oeuvres d'art, de contrats d'assurance-vie, etc. Le principal intéressé nie tout et évoque, lettres à l'appui, l'amitié de longue date qui le liait à Mme Bettencourt pour expliquer qu'elle ait ainsi voulu le couvrir de cadeaux. Il risque trois ans de prison et plus de 525 000$ d'amende s'il est reconnu coupable.

D'UNE HISTOIRE PRIVÉE À UN SCANDALE D'ENVERGURE

Le feuilleton juridique de la famille Bettencourt a pris une tout autre ampleur lorsque le site Mediapart a diffusé en 2010 des conversations enregistrées par le majordome de Liliane Bettencourt. Le gestionnaire de sa fortune, Patrice de Maistre, y évoque notamment des pratiques d'évasion fiscale à grande échelle. L'octogénaire, apprend-on, dispose d'une fortune non déclarée de 100 millions d'euros répartis dans une douzaine de comptes à l'étranger. Plus explosif encore, de Maistre parle de ses liens étroits avec Éric Woerth, ministre qui a agi à titre de trésorier de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy à la présidentielle de 2007.

LE PRÉSIDENT CIBLÉ

Dans la foulée de la diffusion de ces enregistrements, la justice française enquête sur un possible financement illégal de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. Les juges d'instruction s'intéressent à des allégations selon lequelles l'entourage de Mme Bettencourt aurait versé des sommes importantes à Éric Woerth pour soutenir le futur chef d'État. Le photographe François-Marie Banier affirme par ailleurs s'être fait dire par Patrice de Maistre que «Sarkozy avait encore demandé de l'argent». Nicolas Sarkozy est convoqué à l'été 2012, six mois après avoir quitté le pouvoir et perdu son immunité judiciaire. La poursuite contre lui est finalement abandonnée, faute de preuve. Éric Woerth doit aujourd'hui faire face à une accusation de recel relativement à une somme reçue de Patrice de Maistre, mais la question du financement politique illégal n'est plus évoquée.

UNE DIZAINE D'ACCUSÉS

Les enquêtes menées au cours des années ont permis d'élargir considérablement le nombre de personnes accusées d'avoir abusé de Liliane Bettencourt. En plus du photographe François-Marie Banier et de son conjoint, huit membres de l'entourage de l'octogénaire sont concernés par le procès. Le dirigeant d'une entreprise dans laquelle elle avait investi 143 millions d'euros est notamment mis en cause, de même que le régisseur d'une île des Seychelles appartenant à la famille. Le prévenu qui a tenté de se suicider avant l'ouverture du procès, Alain Thurin, est décrit comme un personnage «secondaire» de l'affaire. L'ancien infirmier devait toucher 10 millions d'euros à la mort de sa patronne, selon une disposition testamentaire jugée suspecte. Il soutient qu'il n'a jamais été avisé de cette clause.

UN RISQUE DE FIASCO

Le procès, très attendu, a été rapidement interrompu hier après le dépôt d'une requête liée à la constitutionnalité des chefs d'accusation retenus contre deux des principaux prévenus. La requête pourrait entraîner la suspension du procès pour plusieurs mois si le magistrat décide de la déférer à la Cour de cassation. Une poursuite pour faux témoignage contre l'ex-comptable de Liliane Bettencourt, Claire Thibout, pose un risque plus important pour le procès. La remise en question des déclarations de ce témoin-clé risque d'affaiblir la preuve de l'accusation, d'autant plus qu'elle a fait savoir qu'elle ne pourrait se présenter au tribunal pour cause de grave dépression, certificat médical à l'appui. Des avocats de la défense ont demandé une contre-expertise médicale à ce sujet.