Des vélos sont cadenassés sur des clôtures du quartier. Des fleurs et des sabots reposent au pied des portes d'entrée des maisons. Pas de doute, nous sommes aux Pays-Bas. Il y a un théâtre, un restaurant, une épicerie, un coiffeur, un jardin, un pub et une salle de spectacle qui accueille également des conférences.

Hogewey, situé à Weesp, près d'Amsterdam, a des airs de banlieue ordinaire. Mais ce n'est pas un quartier comme les autres. Ses résidants oublient après 15 secondes ce qu'ils ont commandé au restaurant. Ils arrivent à l'épicerie sans savoir ce qu'ils sont venus acheter. Ils ignorent qu'ils sont en couple et se lancent dans de nouvelles relations.

Les 152 habitants de Hogewey souffrent d'alzheimer ou d'une autre forme de démence. Ils finiront leurs jours dans ce centre de soins unique au monde aménagé tel un petit quartier. Un lieu conçu pour que les gens dont la mémoire s'égare aient un semblant de vie normale, où leurs proches peuvent leur rendre visite en toute sécurité. Ici, les infirmiers et préposés n'ont pas d'uniforme. Le propriétaire du café n'appelle pas la police si un client part sans payer.

Les résidants d'Hogewey vivent dans l'une des 23 maisons conçues et décorées selon sept styles de vie, catégorisés selon les habitudes domestiques, les orientations politiques, les choix religieux et les valeurs. Une maison de culture indonésienne et une autre de foi catholique avoisinent des logements dont les résidants ont un profil artistique ou des habitudes urbaines et bourgeoises.

«Ici, les gens se sentent à la maison», indique Yvonne van Amerongen, mère spirituelle de ce centre de soins avant-gardiste, dont le modèle inspire d'autres initiatives partout dans le monde.

Les gens souffrant d'alzheimer peinent à se remémorer leur vie, mais ils vivent toujours des émotions, explique-t-elle. Trop de gens aux prises avec cette maladie vivent avec le sentiment de culpabilité d'avoir fait quelque chose de mal ou d'inadéquat. «Ici, si un homme demande une bière au pub et l'oublie, on ne lui dit pas: ''Tu te rappelles avoir acheté une bière?'' On lui dit plutôt: ''Veux-tu une bonne bière?'', illustre Yvonne. Ce n'est pas la finalité qui compte, mais le processus et ce que les patients ressentent pendant le moment présent.»

À l'intérieur du restaurant au bar généreux et au design invitant où nous dînons, il y a des résidants avec des proches en visite, mais également des gens «de la vraie vie», notamment ceux qui assistent ce jour-là à une conférence de l'entreprise de pièces automobiles Denso, qui occupe la salle de spectacle.

«Ici, les résidants ont à la fois des soins et des liens sociaux. C'est important d'avoir des points de rencontre et c'est important que le monde extérieur vienne ici.

«Nous sommes des animaux sociaux, rappelle Yvonne. Nous avons besoin de rencontrer d'autres gens. Des études affirment que les liens sociaux sont ce qui stimule le plus le cerveau.»

Hogewey n'est pas un centre privé. Il survit avec le budget alloué par le gouvernement et grâce à une équipe de 240 bénévoles (la municipalité de Weesp incite fortement les chômeurs à faire du bénévolat). Ses trois priorités: la qualité de vie des résidants, leur liberté et leur sécurité. «Pour les membres de la famille, c'est rassurant de venir visiter leurs proches ici au lieu de les sortir. Ils ont de l'aide si leur proche ne va pas.»

Mourir dans son lit

Pendant qu'Yvonne van Amerongen fait une présentation du centre dans le pub, on aperçoit par la fenêtre un grand gaillard chauve qui fume son cigare devant la porte du centre commercial. Un autre homme, Willem, entre dans le pub où plusieurs visiteurs sont réunis. Il s'assoit avec nous. Yvonne continue ses explications comme si de rien n'était.

«Ici, les gens meurent dans leur lit», lance-t-elle.

Généralement, les résidants vivent deux ou trois ans après leur arrivée à Hogewey. En moyenne, ils meurent à l'âge de 84 ans. «Nous avons eu un patient de 101 ans qui a reçu une lettre du roi.»

À la petite épicerie, où nous allons acheter des mouchoirs, Janneke* attend en ligne avec une boîte de biscuits. La dame de grande taille avec un chic imperméable beige de style britannique se présente et nous fait la conversation. «Vous voulez un biscuit?»

À l'étage, nous croisons une autre femme, Agathe. Elle parle sans arrêt en nous fixant du regard, puis elle se met à pleurer. «Elle pense que tu es sa fille», nous explique Yvonne.

«Je suis confuse, sanglote Agathe.

- Assieds-toi», lui répond calmement Yvonne.

Plus tard au cours de la visite, nous visitons la maison des artisans, réunissant des gens de métier qui se lèvent tôt et qui aiment travailler de leurs mains. Willem pique un somme à la table de la cuisine.

La plupart des maisons sont vides. Les gens sont sortis et ne fixent pas le mur de leur chambre dans un fauteuil berçant. En voyant un homme chanter avec un grand sourire en sortant d'un immeuble, on comprend pourquoi. Il y a foule dans un local de musique, dont Janneke, qui nous offre une fleur. «Il fait chaud ici», lance-t-elle, alors que son groupe chante à pleins poumons le tube néerlandais Tulips from Amsterdam.

Non loin de là, Ingrid gère le salon de coiffure Marilyn, situé à côté du centre de physiothérapie et près du club vidéo. «J'ai travaillé six ans dans un salon ordinaire. Ici, non seulement on coupe des cheveux, mais on apporte un bien-être. Pour les femmes ici, c'est important de bien paraître. Je rase aussi des messieurs», explique-t-elle.

«Comme dans la vraie vie», répète Yvonne.

Des enfants soulagés

Carla Snel fume une cigarette dehors, assise sur une table de la terrasse principale. Sa mère vit à Hogewey depuis deux ans. «Je peux venir la visiter quand je veux et je peux l'amener chez moi quand je veux. Je suis très satisfaite de la façon dont on la traite.»

Souffrant d'alzheimer, sa mère est membre du club de chant. «Elle ne peut plus lire», souligne sa fille.

Mme Snel vient généralement chercher sa mère le dimanche. «Je l'amène chez mon père pour le souper et il la reconduit ici. Il y a quatre jours, ma mère et lui sont tombés devant la maison. Mon père a passé quatre jours à l'hôpital. C'est difficile. Là, mon père préfère qu'elle ne vienne plus à la maison», raconte leur fille avec tristesse.

Sa mère vit dans la maison de style de vie casanier (cosy). «C'est une femme qui aimait sa maison.»

Au début de sa maladie, son mari s'en occupait à la maison avec des soins à domicile. Petit à petit, son état s'aggravait et l'état de santé de son mari aussi. Il y a deux ans, Carla Snel et sa soeur ont dû prendre une décision difficile: séparer leurs parents.

Aujourd'hui, leur mère parle avec enthousiasme des clubs dont elle est membre. «Elle me dit qu'elle a fait cela hier et qu'elle fera cela demain. Elle m'a même dit qu'elle vivait dans le meilleur endroit des Pays-Bas.»

«Ma mère n'aime plus marcher, car elle a mal au dos et aux genoux, indique Mme Snel. Elle se plaint, mais elle chante et je vois des résidants marcher tout le temps partout.»

Carla Snel est soulagée de savoir que sa mère mène une bonne fin de vie à Hogewey, dans un environnement où «c'est agréable de venir la visiter».

Hogewey en chiffres

152

Nombre de résidants

23

Nombre de maisons réunissant six ou sept résidants

7

Styles de vie

35,6 millions

Nombre de personnes atteintes de démence dans le monde

60 à 70 %

La maladie d'Alzheimer est la cause la plus courante de démence, avec de 60 à 70 % des cas.

* Tous les noms des résidants sont fictifs.