Dans une rare entrevue, le Québécois Clément Duhaime, numéro deux de l'Organisation internationale de la Francophonie, s'est livré à un bilan autocritique, à quelques jours du sommet de la Francophonie, qui aura lieu en fin de semaine à Dakar, au Sénégal. Reconnaissant certaines erreurs dans un long entretien avec La Presse, il a aussi vigoureusement défendu l'utilité de l'organisation.

Un sommet de la Francophonie sans crise politique africaine n'en serait pas un. Celui de Dakar s'ouvrira samedi dans la foulée de la révolution burkinabé ; celui de Kinshasa, en 2012, avait causé des tracas aux diplomates, mal à l'aise à l'idée de visiter un Joseph Kabila dont la réélection était contestée ; celui prévu en 2010 à Madagascar avait dû être déplacé en Suisse en raison de la crise politique.

Pourtant, « la démocratie a progressé » en Afrique, martèle Clément Duhaime, administrateur de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Et son organisation n'y est pas étrangère, estime-t-il. À titre d'exemple, illustre-t-il, elle a « favorisé la mise en place des commissions électorales indépendantes », elle aide à mettre sur pied une presse libre et elle donne dans la coopération juridique et judiciaire.

Le numéro deux de l'OIF reconnaît cependant que la Francophonie a tardé à aider la société civile africaine à se structurer, à se faire entendre. « Il y a 10 ans ou 20 ans, on aurait pu être plus proactifs, dit-il. L'erreur, c'est qu'à vouloir être partout, toucher à tout, faire entendre notre voix partout, le danger, c'est de devenir inaudible. »

L'OIF n'est cependant pas inactive, affirme Clément Duhaime, sauf que souvent, elle agit dans l'ombre. « [Le secrétaire général Abdou Diouf] prend son téléphone, il intervient, il écrit, i l envoie d'anciens chefs d'État ou d'anciens ministres un peu partout pour régler des situations, et il n'en parle pratiquement jamais quand ça marche. »

Le Québec en exemple

À ceux qui s'impatientent de voir l'Afrique s'émanciper, Clément Duhaime rappelle le long chemin que le Québec a parcouru depuis la Révolution tranquille, « d'une société rurale à une société développée, d'une société où justement on achetait les votes et on donnait des frigidaires pour que les gens votent du bon bord ». « Quand on se rappelle notre propre histoire, c'est intéressant de travailler avec l'Afrique et de se dire qu'actuellement, il se passe des choses à une vitesse beaucoup plus grande que chez nous. »

Le principal défi de l'OIF pour les prochaines années est de maintenir l'attractivité du français, croit Clément Duhaime, qui craint que la croissance démographique de l'Afrique profite à d'autres espaces linguistiques si la Francophonie n'est pas à la hauteur. « Les pays africains sont sollicités par tout le monde », dit-il, ajoutant que la clé est l'accès à l'éducation et à l'emploi en français.

« Il faut favoriser la mobilité des jeunes entrepreneurs, des jeunes créateurs », souligne Clément Duhaime, qui se désole que l'OIF n'ait pas réussi à faciliter l'attribution de visas de séjour à sa jeunesse. « Pour créer une communauté francophone, il faut que les jeunes francophones puissent facilement circuler dans l'espace francophone. »

Le sommet qui s'ouvre samedi au Sénégal pourrait bien être le dernier auquel Clément Duhaime participera à titre d'administrateur de l'OIF. Si l'ancienne gouverneure générale du Canada Michaëlle Jean est élue secrétaire générale de la Francophonie, le Trifluvien d'origine cédera sa place à quelqu'un qui représente « une autre sensibilité ».

Même s'il reste théoriquement trois ans à son mandat, c'est pour lui une question d'éthique. « Il ne peut pas y avoir deux Canadiens à la tête d'une organisation internationale, explique-t-il. Encore moins la Francophonie. »

Clément Duhaime ne se prononce pas sur la course à la succession de son patron, mais il reconnaît que succéder à l'actuel secrétaire général ne sera pas une mince tâche. « [Abdou Diouf] est modèle de bonne gouvernance et de respect de la démocratie pour l'Afrique. Et l'aîné de tous ces chefs d'État.»

CLÉMENT DUHAIME EN 5 TEMPS

1984 à 1987

Fonctionnaire à la délégation générale du Québec à Paris

1988 à 1997

Conseiller spécial à l'Agence de la Francophonie, ancêtre de l'OIF

1997 à 1999

Représentant permanent de l'OIF auprès de l'Union européenne

2000 à 2005

Délégué général du Québec à Paris

2006 à AUJOURD'HUI

Administrateur de l'Organisation internationale de la Francophonie