En 1987, le village palestinien de Beit Sahour a acheté 18 vaches israéliennes. Des vaches laitières comme les autres qui, en temps normal, n'auraient pas obtenu une ligne dans un journal ou encore moins un documentaire. Mais voilà, 1987 est aussi le début de la première Intifada.

Le destin des 18 vaches est devenu étroitement lié à celui des habitants de Beit Sahour et à leurs actes de désobéissance civile visant l'occupation israélienne. S'improvisant fermiers, des villageois ont appris à traire les vaches pour fournir du lait à leurs pairs. Du coup, ils ont pu boycotter les produits d'une compagnie laitière israélienne. Parallèlement, ils manifestaient et refusaient de pays des taxes.

Irritées, les autorités israéliennes se sont lancées aux trousses des vaches, obligeant les habitants de Beit Sahour à déployer leur inventivité pour cacher les-dits bovins.

Dans 18 fugitives, long métrage présenté aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal, l'artiste palestinien Amer Shomali et le cinéaste montréalais Paul Cowan reconstruisent l'histoire hors norme des vaches laitières et de la première Intifada grâce à des entrevues avec les acteurs palestiniens et israéliens impliqués dans ce vaudeville. Ils donnent aussi la parole aux vaches elles-mêmes, grâce à des segments d'animation.

Mémoire d'Intifada

«Nous avons commencé à travailler sur le film pendant le Printemps arabe, raconte aujourd'hui Amer Shomali, joint à Ramallah. Les gens qui manifestaient sur la place Tahrir m'ont dit qu'ils s'étaient inspirés de la première Intifada. J'ai alors réalisé que les Palestiniens ont oublié leur propre histoire», note-t-il. Il s'est souvenu de l'histoire des vaches qui s'était déroulée dans le village de ses parents, une bourgade de Cisjordanie de 12 000 âmes chrétiennes et musulmanes.

«Beaucoup de jeunes Palestiniens pensent qu'ils ont deux choix: accepter d'être une victime absolue ou joindre le groupe État islamique. Le film veut leur rappeler qu'il y a une troisième voie, la voie de la désobéissance civile», dit celui qui, au moment des événements dépeints dans le documentaire, vivait dans un camp de réfugiés en Syrie.

Apprendre du passé

Amer Shomali est conscient que l'Intifada avait ses limites. 18 fugitives aborde les écueils de la résistance politique en parlant notamment de la lassitude qu'ont ressentie beaucoup d'habitants de Beit Sahour après des années d'efforts.

«Même s'ils ont vécu des choses difficiles, que plusieurs d'entre eux ont été emprisonnés, torturés ou ont perdu des proches, beaucoup de gens de Beit Sahour se souviennent des années de la première Intifada comme des années les plus excitantes de leur vie. Mais les Israéliens savaient que les Palestiniens n'allaient pas résister à jamais. Malheureusement, l'élan de la population ne s'est pas traduit en processus politique. Au bout du compte, les accords d'Oslo leur ont été imposés par Yasser Arafat», dit le réalisateur, Paul Cowan, lors d'une discussion dans un café de Montréal. Il rappelle que, depuis, le monde a été témoin maintes fois du même scénario, en Égypte comme en Ukraine.

Les vaches de Beit Sahour ont pour leur part été envoyées à l'abattoir. Mais l'une d'elles a réussi à s'échapper. «La mort des vaches représente la fin de l'Intifada, mais la vache qui s'enfuit, elle, représente l'espoir qui sommeille dans le coeur de tous les Palestiniens», dit Amer Shomali.

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Le documentaire 18 fugitives sera présenté samedi à 20 h 30 au Cinéma Ex-Centris ainsi que mardi, à 18 h 30, au Cinéma du Parc dans le cadre des Rencontres internationales du documentaire de Montréal.