Quelque dix millions de personnes sont sans nationalité dans le monde, selon le HCR, l'agence des Nations Unies responsable des réfugiés, qui veut éradiquer ce fléau «créé par l'homme» d'ici dix ans.

Les pays les plus concernés par l'apatridie, soit l'absence de nationalité, sont la Birmanie, où plus d'un million de musulmans Rohingyas se sont vu refuser la citoyenneté birmane par une loi de 1982, la Côte d'Ivoire, où vivent 700 000 apatrides provenant notamment du Burkina Faso, la Thaïlande (500 000 apatrides), la Lituanie (268 000 apatrides d'origine russe) et la République dominicaine (200 000 apatrides d'origine haïtienne).

«Toutes les dix minutes, un enfant apatride naît quelque part dans le monde», a déclaré Antonio Guterres, Haut-commissaire pour les réfugiés, décrivant cette situation comme étant «une grave anomalie inacceptable du 21e siècle».

«Être apatride, c'est comme être un étranger partout, un ressortissant de nulle part. Vous n'êtes chez vous nulle part», dit Emmanuelle Mitte, administratrice principale responsable de la question de l'apatridie en Afrique de l'Ouest.

Pour y mettre fin, le HCR a décidé de lancer une campagne mondiale appelée «J'APPARTIENS», car l'agence de l'ONU estime que les circonstances sont actuellement réunies pour que ce statut disparaisse bientôt.

Il y a un changement d'attitude dans le monde concernant les apatrides, a indiqué le HCR. Il y a trois ans, seuls 100 pays avaient adhéré aux deux Conventions sur l'apatridie, aujourd'hui, il y en a 144, s'est félicitée l'agence onusienne.

Cependant, le monde connaît de plus en plus de conflits majeurs, comme en République centrafricaine, ou en Syrie, qui ont forcé des millions de personnes à fuir leur foyer.

De ce fait, des dizaines de milliers d'enfants sont nés en exil, et souvent ne peuvent pas être correctement déclarés et deviennent de fait des apatrides.

Selon M. Guterres, actuellement, 70 % des nouveau-nés syriens, enregistrés dans des camps de réfugiés, sont considérés comme apatrides.

Dans le cadre de la campagne lancée mardi, M. Guterres, ainsi que 20 célébrités ont publié une lettre ouverte dans laquelle ils relèvent que «l'apatridie peut signifier une vie sans éducation, ni soins de santé ou emploi formel, une vie sans liberté de mouvement, sans espoir ni perspective d'avenir».

Parmi les signataires figurent notamment l'actrice Angelina Jolie, l'archevêque émérite Desmond Tutu et la cantatrice Barbara Hendricks.

Cette lettre ouverte est une pétition lancée à la communauté internationale pour récolter dix millions de signatures en soutien à l'éradication de l'apatridie d'ici dix ans.

Plan d'action

Le plan d'action du HCR présente dix actions concrètes pour résoudre les situations d'apatridies existantes, éviter l'apparition de nouveaux cas, et mieux identifier et protéger les apatrides.

Parmi ces actions, le HCR demande que les États fassent en sorte qu'aucun enfant ne naisse apatride, et qu'ils assurent l'enregistrement des naissances.

Le HCR demande aussi aux pays de donner les certificats de nationalité aux apatrides qui ont le droit de recevoir de tels documents.

Les apatrides sont souvent des exclus durant toute leur vie, privés d'identité juridique à la naissance, d'accès à l'éducation ou à l'emploi, et «même privés de la dignité d'une sépulture officielle et d'un certificat de décès à leur mort», selon le HCR.

Plusieurs facteurs sont avancés pour expliquer le phénomène des apatrides : les guerres, les effondrements de pays, comme l'URSS, les législations de certains pays qui empêchent qu'un enfant né de père inconnu prenne la nationalité de la mère.

Le rapport ne traite pas du cas des Palestiniens, considérés comme un «problème spécifique, qui doit faire l'objet d'une solution politique». Il y a 4,5 millions de Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza, plus ceux qui vivent dans des camps au Moyen-Orient. L'État de Palestine doit encore approuver ses lois sur la nationalité, a estimé M. Guterres.

Albert Einstein (1879-1955) a été un apatride célèbre, entre 1896, quand il a renoncé à sa nationalité allemande, et 1901, lorsqu'il a été naturalisé suisse.

Le HCR demande aussi plus de «données adéquates» sur le nombre des apatrides. «Il est fréquent que les apatrides soient non seulement sans documents, mais également ignorés par les autorités et non comptabilisés», relève le HCR.

Certains États ont cependant résolu le problème. Ainsi, suite à une décision de 2008 de la Haute Cour du Bangladesh, 300 000 apatrides parlant ourdou ont été reconnus comme des citoyens.

Par ailleurs, depuis 2009, plus de 60 000 anciens citoyens soviétiques ont obtenu la nationalité du Kirghizstan et 15 000 celle du Turkménistan.

Il reste cependant encore plus de 600 000 apatrides originaires de l'ex-URSS.

Au total, au cours des dix dernières années, plus de 4 millions d'apatrides ont pu obtenir une nationalité ou la faire confirmer, grâce à des changements législatifs et politiques.