Durant l'occupation soviétique de l'Afghanistan (1979-1989), les massacres de civils comme celui commis par le soldat américain dans la province de Kandahar étaient monnaie courante. Si les Afghans s'en indignaient tout autant qu'aujourd'hui, les soldats et le commandement de l'Armée rouge, eux, y voyaient un comportement militaire tout à fait normal.

Été 1981. Un Afghan avance tranquillement sur son âne en bordure d'une route de la province de Kandahar. Un convoi soviétique passe. Sans même descendre de son véhicule blindé, un soldat abat sans raison l'homme - «armé» d'un bâton pour fouetter sa bête - et l'âne. «C'est une histoire des plus typiques», écrit dans ses mémoires le parachutiste Sergueï Boïarkine, qui a servi en Afghanistan durant les deux premières années du conflit. «Sans aucune crainte, [les soldats] pouvaient se promener sur les routes et dans le désert et tuer sans avertissement n'importe quelle personne sur leur chemin [...]. Et pour cela, nous recevions des félicitations et des médailles!»

Le vétéran raconte aussi avoir rencontré un bataillon dont les membres se vantaient d'avoir décimé un village entier en une seule journée, à l'artillerie lourde et à la mitraillette. Bilan: 3000 civils tués.

«C'est pourquoi chaque sortie de la base faites par un régiment soviétique [...] ne faisait qu'augmenter le nombre de personnes qui prenaient les armes pour aller venger leurs proches», ajoute le capitaine Alexeï Tchikinev, cité par Boïarkine dans Soldats de la guerre d'Afghanistan, paru en 1999.

Aucun soldat de l'Armée rouge n'a jamais eu à répondre du meurtre d'un civil afghan. En raison de la censure, le public soviétique ignorait non seulement ces exactions, mais il en savait aussi très peu sur la mort de ses propres soldats lors des opérations, officiellement menées dans le but «d'aider un peuple frère» à se développer sur la voie du socialisme.

Ce n'est que peu avant le retrait des troupes en 1989, alors que l'intervention était déjà vue comme un fiasco, que les récits d'atrocités ont commencé à pulluler. «Pour un mort de notre côté, il nous arrivait de tuer un kichlak [village] entier. Là-bas, cela me semblait juste», raconte une infirmière à l'auteure biélorusse Svetlana Alexeivitch dans Les cercueils de zinc, paru en 1990.

Contrairement aux soldats américains, les jeunes conscrits soviétiques n'avaient droit à aucun soutien psychologique, ni durant ni après l'opération. Les cas de folie meurtrière n'étaient donc pas recensés différemment des opérations militaires ordinaires.

Si l'opinion populaire soviétique, puis russe, a longtemps reproché aux vétérans d'avoir déshonoré le pays lors de l'humiliante campagne afghane, les preuves de carnages de civils n'ont jamais déclenché une réelle indignation.

Le président américain Barack Obama a mis en garde hier contre tout retrait «précipité» des troupes de l'Afghanistan, alors que l'assassinat de 16 civils afghans par un soldat américain a soulevé des interrogations sur la stratégie de Washington dans le pays. «Il est important pour nous d'assurer un retrait [du pays] de manière responsable pour que nous n'ayons pas ensuite à devoir y revenir», a déclaré M. Obama. «Ce que nous ne voulons pas, c'est un retrait précipité» de l'Afghanistan, a-t-il ajouté. Le président a estimé que la tuerie de civils afghans, qui a aussi visé des femmes et des enfants, est «absolument bouleversante et tragique».