Le premier ministre canadien Stephen Harper termine sa mission en Chine, un pays qu'on trouve de plus en plus dans... notre assiette. Le Québec importe quatre fois plus d'aliments de Chine qu'il y a 10 ans. Nos filets de poisson, nos légumes surgelés, même notre ail frais viennent de plus en plus souvent de Chine, sans qu'on le sache toujours. Faut-il rendre l'étiquetage du pays d'origine obligatoire pour tous les aliments?

Au supermarché haut de gamme Ja-e de Shanghai, en Chine, il n'y a aucun... aliment chinois. «Toute la nourriture est importée, dit à La Presse Jessica Luo, assistante du président de Ja-e. C'est pour des raisons de salubrité alimentaire. La plupart des aliments chinois sont sains, mais notre clientèle préfère les produits importés, de meilleure qualité à leurs yeux.»

Ô paradoxe, au Québec, il semble impossible de trouver une épicerie sans aliments chinois. Des produits agro-alimentaires de Chine d'une valeur de 168,9 millions ont été importés dans la Belle Province, en 2010. Soit quatre fois plus qu'il y a 10 ans. Et ça ne comprend pas les aliments faits ailleurs - aux États-Unis, par exemple - avec des ingrédients chinois, avant d'être expédiés chez nous.

«La valeur des importations canadiennes de produits agro-alimentaires chinois a augmenté de manière soutenue dans les dernières années», confirme un rapport d'Agriculture et Agroalimentaire Canada, daté de juin 2010.

Les Québécois mangent beaucoup de poissons et crustacés chinois, d'une valeur de 57,9 millions. Logique: la Chine domine l'aquaculture, avec 62,3% de la production mondiale, selon la FAO. Plus étonnant: le Québec a acheté pour 13,9 millions de jus de pomme chinois en 2010. Des sucreries (d'une valeur de 8,9 millions), de l'ail (5,6 millions) et des légumes surgelés (4,5 millions) sont parmi les nombreuses autres denrées que la province a importées de l'empire du Milieu.

Gros volume, bas prix

Même des fruits et légumes frais arrivent au Québec, après un très long voyage: deux semaines de bateau pour traverser le Pacifique, en plus du transport terrestre sur deux continents. «On importe de Chine de façon plus soutenue depuis 15 ans», a indiqué Sophie Perreault, directrice générale de l'Association québécoise de distribution de fruits et légumes du Québec.

Le Québec importe surtout de l'ail, du gingembre, des pois mange-tout, des pois sucrés, des mandarines, des poires, des pomelos et des litchis. «La Chine nous permet de satisfaire le mieux possible nos consommateurs, qui veulent un produit de qualité, en volume suffisant, à bon prix, disponible à l'année», a fait valoir Mme Perreault.

Lassonde achète du jus de pomme chinois

Bien que le consommateur l'ignore, de nombreux autres aliments sont en partie chinois. Le Québec a importé pour 1,6 million de dollars de fraises chinoises en 2010. Elles ne sont évidemment pas vendues fraîches, mais transformées. Autre exemple: le yogourt aux pêches de Danone est entre autres fait avec des pêches de Chine. Qui le sait?

Lassonde, fabricant des jus Oasis, Rougemont, Everfresh, Allen's et Fairlee, utilise notamment du concentré de pommes chinois. «Nous avons toujours fait des efforts pour nous approvisionner chez les producteurs locaux le plus possible, souligne Stefano Bertolli, vice-président aux communications de Lassonde. Cependant, pour combler la demande, nous devons aussi nous approvisionner à l'extérieur du pays. Nous achetons du concentré de pommes de Chine, d'Argentine et d'Afrique du Sud.»

Au contraire, Mike Leahy, qui détient 70% du marché canadien de la compote de pommes avec Délipomme et des marques privées, s'y refuse. «Nous n'achetons pas de pommes de Chine, dit le président des Vergers Leahy. Nous fournissons les chaînes d'alimentation au Canada et aux États-Unis, et leurs acheteurs ne veulent pas avoir d'ingrédients chinois. Il y a eu un paquet de problèmes en Chine, comme le scandale du lait en poudre contaminé», rappelle-t-il.

Au fait des réticences d'une partie de la population, les chaînes d'alimentation minimisent l'importance de la Chine sur leurs rayonnages. «Il y a très peu de produits provenant de Chine dans le secteur alimentaire», a indiqué Frédéric Alberro, ex-vice-président pour le Québec du Conseil canadien des distributeurs en alimentation, qui a récemment quitté son poste.

«Lourdes pertes» au Québec

Si ce pays fort lointain est aussi présent dans nos assiettes, c'est aussi parce que «certains ingrédients sont disponibles pratiquement juste en Chine, qui a construit de méga usines pour les produire», a expliqué Christine Jean, directrice technique et réglementaire du Conseil de la transformation agroalimentaire et des produits de consommation du Québec (CTAC). C'est le cas de l'acide citrique et de l'acide ascorbique, couramment utilisés par l'industrie alimentaire.

Autre secret bien gardé: les réseaux hôteliers et de restauration sont particulièrement friands d'aliments chinois. Notamment des grosses carottes (catégorie jumbo) fraîches de Chine, moins fastidieuses à peler et couper que les petites.

En 2007, les producteurs québécois de carottes «ont subi de lourdes pertes de revenus avec l'arrivée de ce que l'on a considéré comme d'importantes quantités de carottes en provenance de Chine, a souligné un bulletin du Conseil québécois de l'horticulture. À prix très concurrentiel, de plus gros calibre et de longue durée de conservation, les carottes chinoises ont nui à l'offre locale.» Qui y pense en mangeant ses carottes au resto?

***

Des conserves ont fait craindre des intoxications

Presque tous les champignons en conserve vendus chez nous viennent de Chine. Dans les années 90, l'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA) «a détecté des problèmes relatifs à l'intégrité des contenants» dans des envois de légumes en conserve de Chine, faisant craindre des risques d'intoxication.

Dans le cas des aliments en conserve peu acides tels les champignons et autres légumes, il existe un risque élevé de favoriser la croissance du bacille C. botulinum», explique Alice d'Anjou, porte-parole de l'ACIA.

Des mesures ont été prises. «Seules les conserveries de Chine qui ont été inspectées et approuvées peuvent exporter au Canada des aliments peu acides en conserve», indique Mme d'Anjou. Un total de 66 entreprises chinoises sont actuellement approuvées, dont une représente un «risque moyen», 17 un «risque faible» et 48 aucun risque, selon l'agence fédérale.

Impossible de vérifier sur place

Au cours des six dernières années, les problèmes relatifs à l'intégrité des récipients ont été réglés», assure Mme d'Anjou. Aller le vérifier sur place s'est avéré difficile. La Presse a pris contact (en anglais et en chinois) avec huit conserveries chinoises approuvées. Seules deux nous ont répondu.

Weifang Jiayan Foodstuffs, du Shandong, a indiqué avoir arrêté de produire des légumes. «Comme nous manquons de main-d'oeuvre, nous avons décidé de produire d'autres aliments, qui demandent moins d'employés», explique Weizhai Yang, de Weifang Jiayan Foodstuffs.

Huixian Rongtai Foodstuff, du Henan, a fait valoir qu'elle avait «presque stoppé les exportations vers le Canada», se concentrant sur l'Australie et l'Europe. Des rénovations étant en cours dans son usine et sa ferme lors du passage de La Presse en Chine, l'entreprise a refusé notre visite, nous invitant à revenir plus tard.

PhotoL Wang Junhui, collaboration spéciale.

Presque tous les champignons en conserve vendus chez nous viennent de Chine.

***

Pas obligatoire de révéler la provenance des aliments

«On pousse ici», dit le slogan des légumes surgelés Arctic Gardens. Ce n'est pas entièrement vrai. Les châtaignes d'eau et les pousses de bambou des mélanges Style Asiatique et Yin Yang d'Arctic Gardens viennent de Chine, a appris La Presse. Nulle part cela n'est indiqué sur l'emballage. On y lit «CANADA A», ce qui, paradoxalement, ne veut pas dire que tous les légumes ont poussé chez nous. «CANADA A» est simplement le nom de la meilleure catégorie de légumes, ceux qui ont une bonne saveur, une bonne odeur et une texture tendre.

Pourquoi faire venir des châtaignes d'eau et des pousses de bambou de Chine? «Ce sont des légumes qu'on ne peut pas se procurer ailleurs», explique Christian Malenfant, directeur du marketing de Bonduelle Amérique du Nord. Si leur origine n'est pas révélée, c'est parce que «la loi canadienne est ainsi faite que lorsque vous mélangez un produit, vous n'êtes pas tenu de déclarer sa provenance», précise-t-il.

Fait étonnant, les Chinois sont beaucoup mieux renseignés que nous sur ce qu'ils mangent. «Les étiquettes en Chine doivent toutes préciser [...] le pays d'origine, le nom et l'adresse du distributeur», a énuméré Guan Rong, secrétaire général de la Shanghai Import Food Enterprise Association (SIFEA), lors d'une conférence à laquelle La Presse a assisté à Shanghai.

L'emballage sera modifié

Au Canada, seules «les coordonnées de la partie responsable (importateur, transformateur) doivent figurer sur l'étiquette», indique Alice d'Anjou, porte-parole de l'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA). Pas le pays.

Il y a quelques exceptions, pour lesquelles la déclaration de la provenance est obligatoire. «Ce sont notamment les produits laitiers, le miel, la viande, les oeufs et les produits à base d'oeufs, les fruits et légumes transformés», énumére Mme d'Anjou.

Dans le cas des mélanges Style Asiatique et Yin Yang, on peut lire sur l'emballage qu'«Arctic Gardens récolte des légumes au Québec et en Ontario». Sans préciser qu'une partie est importée! «On est en train de changer cela, dit M. Malenfant. On va écrire "Emballé avec des produits domestiques et importés".» Il n'y aura toujours aucune mention de la Chine.

***

EN CHIFFRES



Importations d'aliments chinois au Québec: en hausse

(en millions de dollars)

2001: 46,6

2002: 58,9

2003: 75,1

2004: 101

2005: 131,3

2006: 143,5

2007: 158,3

2008: 162,9

2009: 171,9

2010: 168,9

Sources: importations québécoises de produits bioalimentaires, par pays d'origine, valeur en millions de dollars, MAPAQ, Strategis et Industrie Canada.

***

10 principales importations alimentaires de Chine au Québec

1- Filets de poisson surgelés, 24 millions

2- Jus de pomme non fermenté ou alcoolisé, 13,9 millions

3- Crevettes congelées, 11 millions

4- Sucreries sans cacao, 8,9 millions

5- Chair de poisson congelée, 7,8 millions

6- Boyaux, vessies et estomacs d'animaux, 5,6 millions

7- Ail frais ou réfrigéré, 5,6 millions

8- Crevettes préparées ou conservées, 5,1 millions

9- Pétoncles et coquilles St-Jacques, 5 millions

10- Légumes surgelés, 4,5 millions

Total des importations alimentaires de Chine en 2010: 169 millions

Sources: valeur en millions de dollars des importations bioalimentaires en provenance de Chine, MAPAQ et Global Trade Atlas.