Invisibles, ils ne sont pas mortels, mais ils ne sont pas inoffensifs non plus. Depuis quelques années, les décibels trouvent leur place dans l'arsenal des forces militaires ou policières. Le but: neutraliser, désorienter ou, carrément, rendre fou, indique Juliette Volcler, documentariste radiophonique et auteure d'un ouvrage sur la question. Et les nouvelles découvertes donnent à croire qu'on n'a encore rien entendu.

«L'oreille est une cible vulnérable: on ne peut la fermer, on ne choisit pas ce qu'elle entend, et les sons qui l'atteignent peuvent modifier profondément notre état psychologique ou physique», écrit Juliette Volcler dans son récent ouvrage Le son comme arme (Éditions La Découverte). Le son est donc une arme de choix pour qui veut attaquer sans détruire.

Les nazis avaient cherché une façon de rendre le son létal dans les années 40, en expérimentant les vortex. Dans les décennies suivantes, les États-Unis se sont quant à eux intéressés aux infrasons - une fréquence trop basse pour être perçue par l'oreille humaine, explique Mme Volcler dans une entrevue avec La Presse. «On accordait aux infrasons un potentiel considérable: ils étaient capables de tuer, de faire vomir ou de provoquer des défécations. Bien heureusement, rien de tout ça n'a fonctionné.»

Ce qui fonctionne le mieux, ont compris les chercheurs, sont les sons de tous les jours. «Et ça, utilisé d'une certaine manière et à une certaine intensité, ça peut devenir une arme.»

Torture et chuchotements

Dans la prison de Guantánamo, à Cuba, on a soumis les détenus à l'écoute répétée, à plein volume, du métal hurlant d'AC/DC, de la pop de Britney Spears, des ballades des Bee Gees et même des chansons de l'émission pour enfants Sesame Street. En 2009, des musiciens ont officiellement demandé aux autorités militaires américaines de cesser d'utiliser leurs oeuvres dans leurs séances de torture.

«Les soldats américains ont utilisé des musiques qu'eux-mêmes écoutaient et aimaient, dit Mme Volcler. C'est ce qu'ils avaient dans leur iPod. Ils utilisaient la même musique pour se détendre que pour torturer les prisonniers.»

La recherche se poursuit, et les moyens s'affinent. Les chercheurs mettent maintenant au point des haut-parleurs ultradirectionnels, si précis que le son qu'ils diffusent, dirigé sur une seule personne, ne sera pas entendu des voisins.

Si cette technologie doit permettre aux passagers à l'arrière d'une voiture d'écouter une musique différente de celle qu'écoutent les passagers avant, elle pourrait aussi permettre de chuchoter à l'oreille d'une personne éloignée sans que les autres entendent. «Son usage dans le maintien de l'ordre peut être déconcertant, s'inquiète Mme Volcler. C'est très difficile de trouver la source de ce son. On se trouve à un endroit, on entend une voix à l'oreille, mais on ne voit rien autour. L'armée et la police se sont équipées de ces haut-parleurs, mais on ne sait rien de l'usage qu'ils en font.»

LES ARMES ACOUSTIQUES

L'oreille humaine

85 décibels: seuil au-delà duquel l'ouïe est endommagée, de façon temporaire ou permanente, selon la durée de l'exposition.

90-110 décibels: Volume de la musique dans les boîtes de nuit.

125-130 décibels: seuil de la douleur.

Canon à son

Conçu à l'origine pour arraisonner des pirates en haute mer, le LRAD (Long Range Acoustic Device) a été utilisé à Pittsburgh (2009) et à Toronto (2010) lors des manifestations contre le G20. Le son projeté peut atteindre de 135 à 143 décibels selon les modèles.

Musique

Métal hurlant ou chansons pour enfants, certains détenus de Guantánamo ont été exposés jusqu'à 72 heures de suite à un volume extrêmement élevé de musique, selon un rapport publié en 2006 par l'organismeHuman Rights Watch.

Grenade incapacitante

Appelée flashbang en anglais, la grenade incapacitante produit une lueur éblouissante et une détonation de 160 dB, un véritable «mur d'air» qui renverse ceux qui se trouvent à proximité.

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Ceci est une version corrigée du texte mis en ligne le 17 septembre 2011. Des précisions sur les recherches menées dans les années 1940 ont été apportées. (11 octobre 2011)