Après Tiger Woods et David Duchovny, place à Dominique Strauss-Kahn et Arnold Szchwarzenegger. Les temps sont durs pour les don Juan célèbres. Ils se voient maintenant qualifiés de «dépendants du sexe». Un débat fait justement rage au sein de l'Association psychiatrique américaine sur la légitimité d'un nouveau diagnostic de «trouble hypersexuel»

Un désir insatiable de séduire tout ce qui porte un jupon peut-il constituer une dépendance? C'est la question que se posent depuis une quinzaine d'années psychologues et psychiatres.

L'Association psychiatrique américaine (APA), qui publie l'influent Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), prend la question au sérieux. Pour la cinquième édition du manuel, qui sera publiée en mai 2013, un nouveau diagnostic de «trouble hypersexuel» est envisagé. La bataille est féroce.

«Le problème, c'est que beaucoup des traitements pour les autres dépendances proposent l'abstinence comme solution», explique Marty Kafka, un psychiatre spécialiste de la sexualité à l'hôpital MacLean, à Boston qui a publié plusieurs études sur le sujet. «Avec la sexualité, ce n'est évidemment pas possible. D'autre part, avec chaque nouvelle dépendance il y a des gens qui trouvent que la maladie devient une excuse pour être irresponsable.» En février dernier, le magazine Time titrait justement «Une vraie maladie ou une excuse propice?» pour un article sur la dépendance sexuelle. Le problème touche entre 3% et 10% de la population et trois fois plus souvent les hommes.

Pour cette raison, la plupart des chercheurs préfèrent parler de «trouble hypersexuel» ou de «sexualité compulsive». «Quand on pense au problème en tant que trouble compulsif, ça devient plus facile, dit le Dr Kafka. Au départ, on se penchait surtout sur les paraphilies, les comportements hors normes comme la pédophilie ou le voyeurisme. Avec le temps, on s'est rendu compte que la masturbation et même les rapports sexuels à répétition peuvent prendre assez de place pour être dommageables pour la vie d'un patient. Avec l'épidémie de sida, le comportement des gens ne portant pas de préservatif malgré le risque a souligné la nécessité de se pencher sur ce type de personne.» Actuellement, le DSM-4 place ce type de comportement dans la section «autres troubles sexuels».

Qu'en est-il des centres qui affirment traiter la dépendance sexuelle, comme celui qu'a fréquenté Tiger Woods après avoir été victime d'un scandale adultère? «C'est une avenue que certains patients trouvent utile», se limite à dire le Dr Kafka. Dans ces centres, les bagages des patients sont fouillés pour vérifier qu'ils n'ont pas apporté de pornographie et leurs séances sur l'ordinateur sont bien sûr surveillées.

La cyberpornographie a évidemment accru le problème. L'armée américaine en est aussi consciente et a préparé une présentation pour ses médecins, afin qu'ils détectent les soldats qui ont des problèmes à gérer leurs visites sur les sites pornos. Les questions que doivent poser les médecins militaires vont de «avez-vous besoin de sexe pour diminuer votre stress» à «avez-vous des fantasmes à propos d'activités sexuelles que vous pratiquez rarement», en passant par «vous sentez-vous parfois coupable ou honteux de vos activités sexuelles».

Consulter la porno sur l'internet ne pose évidemment pas de risque physique ou émotionnel, mais peut tout de même causer des pertes de temps énormes, souligne le Dr Kafka, qui siège sur le comité de l'APA évaluant la pertinence du trouble hypersexuel. Ce n'est pas tout: consulter tous les jours de la pornographie peut limiter la libido de certains hommes, constatait en janvier dernier le magazine New York, citant notamment un ancien don Juan qui ne parvient plus à rester en érection plus d'une minute avec une nouvelle flamme, selon lui parce qu'il «voit 400 vagins» chaque matin avant même de quitter le lit.

Y a-t-il une limite au-delà de laquelle un homme doit s'inquiéter d'être sujet à un tel trouble? Elle a été établie dans les années 40 par le fameux rapport Kinsey sur la sexualité des Américains, qui notait que seulement 7% des hommes adultes jouissent plus de sept fois par semaine. Le barème adopté par le Dr Kafka dans ses recherches est le même: sept fois par semaine, pendant plus de six mois, incluant les séances de masturbation.

L'Association psychiatrique américaine envisage, pour son prochain manuel diagnostique DSM-V, un nouveau diagnostic de trouble hypersexuel. Les patients devraient avoir quatre des cinq caractéristiques suivantes:

> Un temps excessif est consacré aux désirs et fantasmes sexuels et à la planification et aux rapports sexuels

> Un état dysphorique (anxiété, dépression, ennui, irritabilité) mène répétitivement à des désirs, fantasmes et activités sexuelles

> Des événements stressants mènent répétitivement à des désirs, fantasmes et activités sexuelles

> Tentatives répétées mais infructueuses de contrôler ou de réduire ces désirs, fantasmes et activités sexuelles

> S'adonner répétitivement à des activités sexuelles sans tenir compte du risque de dommages physiques ou émotionnels pour soi ou pour les autres

> Entre 3% et 6% ont des troubles hypersexuels

> Certains auteurs établissent la limite du trouble hypersexuel pour les hommes à sept éjaculations par semaine, pendant plus de six mois, que ce soit par masturbation ou par rapport sexuel.

SOURCES: Trinity Western University et Université Harvard, département médical de l'Armée américaine