Dangereux, Tchernobyl? Parlez-en aux touristes qui sont de plus en plus nombreux chaque année à visiter la zone d'exclusion autour du réacteur numéro quatre. Et au gouvernement ukrainien, qui veut transformer Tchernobyl en zone de tourisme de masse en prévision de l'Euro 2012 de soccer.

Devant la piscine abandonnée du centre sportif de Pripiat, Bartek Szczesny a comme un sentiment de déjà-vu. «C'est exactement comme dans Call of Duty», constate le touriste polonais dans la vingtaine, en référence à un jeu vidéo populaire. Dans l'univers virtuel, le joueur est appelé à tuer des mutants dans les ruines de la ville abandonnée au lendemain de l'accident à la centrale de Tchernobyl, à moins de deux kilomètres de là.

Bartek jette un coup d'oeil au dosimètre qu'il a emprunté avant de partir à un ami. Le taux de radiation est dans les limites de la normale. «J'ai lu beaucoup sur les radiations avant de venir, donc je n'ai pas peur», explique le jeune propriétaire de boutiques d'équipement de plein air à Wroclaw, venu en Ukraine spécialement pour visiter la zone d'exclusion.

Moins qu'une radiographie

Le seul moment de la journée où le dosimètre s'emballera est lorsque l'autocar d'une trentaine de touristes s'arrêtera à une centaine de mètres du sarcophage qui enveloppe les débris du quatrième réacteur. Mais, là encore, pas de danger, rassure le guide Iouri Tatartchouk. «Les radiations que vous recevez durant toute une journée dans la zone sont moindres que celle d'une radiographie dentaire ou d'un vol long-courrier», explique celui qui y accompagne des touristes depuis une douzaine d'années.

Les excursions à Tchernobyl n'ont donc rien de nouveau. Peu publicisées, elles n'ont toutefois longtemps attiré que quelques centaines de marginaux annuellement. Et ce, en toute légalité, puisque le gouvernement ukrainien s'est engagé à accompagner sur le site toute personne qui souhaite obtenir plus d'informations sur la catastrophe.

Les agences touristiques y ont vu une affaire en or: en s'occupant des formalités bureaucratiques et du transport, elles peuvent soutirer aux touristes locaux ou étrangers entre 150$ et 340$ pour une journée dans la zone, située à 120 km au nord de la capitale ukrainienne Kiev.

Au menu du voyage: visite des monuments à la mémoire des liquidateurs et autres victimes de Tchernobyl, séance photo près du réacteur et visite de la ville fantôme de Pripiat. À la sortie de la zone, chaque visiteur doit passer par un dosimètre géant qui vérifie qu'aucune partie de son corps ou de ses vêtements n'a été irradiée.

Peu de précautions

Lors du voyage auquel a participé La Presse, début avril, les participants ont à l'unanimité apprécié plus que tout les quelques dizaines de minutes passées à Pripiat.

L'Américaine Sonja Tinaka a toutefois été étonnée par le peu de précautions prises par les autorités et les agences touristiques durant la visite de la ville abandonnée, où certains bâtiments menacent de s'effondrer. «Aux États-Unis, on ne nous aurait jamais laissés nous balader par nous-mêmes», note l'employée d'une agence onusienne, venue en vacances en Ukraine.

Pour Sonia, la visite de Tchernobyl porte le touriste à réfléchir. «En regardant ce qui se passe au Japon [à Fukushima] et ce qui s'est passé ici, on se demande si l'utilisation de l'énergie atomique en vaut le risque. Je n'ai toujours pas trouvé la réponse.»

Danger ou non, le gouvernement ukrainien compte bien convertir sa tragédie en dollars. En décembre, le ministre des Situations d'urgence a proposé un plan pour répondre à la demande touristique grandissante. D'autant plus qu'à l'été 2012, l'Ukraine attend un million de touristes dans le cadre de l'Euro de football.

Nikolaï Chevanov, qui organise le transport par autocar dans la zone, voit bien sûr d'un oeil positif l'afflux de visiteurs. Mais il ne croit pas pour autant que Tchernobyl se transformera en parc d'attractions. «Simplement en voyant Pripiat, votre bonne humeur tombe. On ne pourra jamais construire un Disneyland sur un cimetière.»