Texte publié le 23 avri 2006- Le pompier Viktor Birkoun a survécu à la maladie aiguë des rayons. Aujourd'hui établi à Labnia, en banlieue de Moscou, l'homme de 56 ans raconte comment les grands irradiés terrorisaient la population après l'accident:

Après le départ de Pripriat, lorsque notre avion est arrivé à Moscou, je n'ai rien reconnu. Nous avons atterri dans un lieu secret. Un autobus nous attendait déjà, complètement recouvert de plastique.

À l'hôpital, les autres patients avaient dû déménager. Nous étions des petits réacteurs, de petites bombes. Il ne fallait surtout pas les contaminer à leur tour. Autour de nous, tout le monde portait des masques et des uniformes. Les gens avaient peur, mais les primes offertes pour travailler avec nous les attiraient.

Du matin au soir, des soldats décontaminaient le plancher. Les infirmières changeaient aussi nos vêtements et nos draps plusieurs fois par jour. Nos lettres étaient confisquées et détruites tellement elles étaient radioactives. Ils ont même construit des canalisations de toilettes spéciales pour nous! Si j'utilisais une chaise, plus personne ne voulait s'y asseoir...

Des mois plus tard, j'ai pu voir qu'ils avaient détruit le chemin sur lequel nous étions arrivés...

Mes doigts ont enflé et noirci, puis mes pieds. J'étais si faible qu'on me nourrissait à la cuillère. Ma femme venait tous les jours sous ma fenêtre. Mais elle n'avait pas le droit d'entrer, pas le droit de me soigner, c'était trop dangereux pour elle.

Pendant deux ans après l'accident, je suis resté totalement chauve. Quand j'entrais dans un magasin, les gens sortaient. Comme si je portais malheur.

Officiellement, j'ai reçu une dose de radiation de 260 roentgens (une ancienne mesure). Mais plusieurs médecins m'ont avisé qu'en réalité, j'en avais reçu 400. Pour vous donner une idée, à partir de 520, c'est la mort assurée.

Née le 3 juin 1986, 38 jours après l'explosion de Tchernobyl, Yulia n'a jamais connu son père. L'ingénieur Viktor Lopatiuk est mort 17 jours plus tôt, à l'âge de 26 ans. Les mains tremblantes, l'étudiante en langues raconte ce qu'elle sait de son agonie:

Ma mère a vu les pires choses... La radiation a pénétré les organes de mon père. Tout a brûlé. Ses gencives saignaient. Tout son corps saignait. Sa peau changeait de couleur et se détachait des os. Un matin, il s'est levé et tous ses cheveux sont restés sur l'oreiller. Peu après, il était mort.

Mon père était si contaminé qu'il était lui-même radioactif. Tous les médecins portaient des scaphandres. Ma mère, elle, n'avait rien.

J'ai eu un choc en apprenant comment lui et ses amis ont été enterrés à Moscou: très profondément, dans un cercueil de métal, sous une immense dalle de béton.

Mon père n'avait aucune chance de s'en sortir parce qu'il est retourné couper l'électricité dans la centrale. À l'hôpital, mon grand-père lui a demandé:«Pourquoi y être allé? Tu savais que ta femme était enceinte!» Mon père lui a répondu: «À part nous, qui l'aurait fait?» Le gouvernement a fait graver cette phrase au cimetière. Je l'ai lue en allant voir la tombe de mon père.