Texte publié le 23 avril 2006 - À la veille du 20e anniversaire de la catastrophe, le bilan des victimes de Tchernobyl génère une explosion de chiffres.

Depuis deux semaines, les rapports contradictoires se succèdent. D'un côté, Greenpeace parle de 200 000 décès «déjà constatés» par plusieurs dizaines de scientifiques locaux. Et de 93 000 cancers mortels à venir. Aux yeux de l'organisation, les autres bilans représentent «une minimisation grossière de l'étendue des souffrances provoquées par Tchernobyl».

De l'autre côté, le Centre international de recherche sur le cancer (ou CIRC, la plus haute autorité sur cette maladie) s'attend à voir apparaître d'ici 2065 entre 6700 et 38 000 cancers mortels dus aux radiations. Ce qui représente environ 0,01 % de tous les cancers mortels qui attendent les 570 millions d'Européens.

L'Organisation mondiale de la santé (OMS) ne s'intéresse pour sa part qu'aux trois pays les plus contaminés (Ukraine, Biélorussie et Russie), où elle prédit l'apparition de 9000 cancers mortels (soit 0,9 % de tous les cancers).

Au-dessus de la mêlée, la prestigieuse revue britannique Nature affirme dans son dernier numéro qu'il est trop tôt pour se prononcer puisque, à Hiroshima, certains cancers et d'autres maladies ont surgi seulement 30 ou 50 ans après l'explosion.

D'après le magazine, les experts ont déjà été pris au dépourvu et «ont toutes les raisons de s'attendre à de nouvelles surprises».

En attendant, dit-il, tant qu'on ne mènera pas d'étude majeure, «les deux camps auront beau jeu d'exagérer ou de minimiser les conséquences» et le public ne pourra que se méfier du nucléaire.

Voici ce que les experts des deux camps ont avancé ces dernières semaines:

Cancer de la thyroïde

D'abord niée par les experts internationaux, la hausse fulgurante de ces cancers- 100 fois plus fréquents que jadis chez les enfants et les adolescents- est désormais reconnue par tous. D'après l'OMS, 5000 cas ont déjà été détectés, dont 15 mortels. Et tous les experts s'accordent à dire que le pire est à venir. D'ici 2065, le CIRC s'attend à en voir apparaître entre 3400 et 72 000 en Europe. Aux cancers, il faut ajouter des milliers de lésions précancéreuses et d'autres anomalies capables de dérégler le métabolisme. Autrement dit, des milliers de malades forcés de prendre pour le reste de leur vie des médicaments souvent trop chers pour eux.

Autres cancers solides et leucémie

D'après le CIRC, d'ici 2065, entre 11 000 et 59 000 Européens devront lutter contre l'un de ces types de cancer, mais une bonne partie d'entre eux survivront.

Les cas de leucémie semblent déjà deux fois plus fréquents chez les secouristes et les travailleurs qui ont nettoyé les dégâts après l'explosion.

Infertilités et malformations

Pour l'OMS, les victimes n'ont pas été assez irradiées pour souffrir d'infertilité ou accoucher d'enfants difformes. Les médecins locaux observent une hausse des malformations telles que l'hydrocéphalie, mais pour les experts internationaux, elles résultent des conditions de vie ou sont simplement plus souvent signalées.

Maladies cardiovasculaires

L'OMS reconnaît «une légère augmentation des maladies cardiovasculaires attribuables aux radiations». Sur le terrain, le Dr Youri Bandajevski parle plutôt d'une épidémie.

Maladies rénales et urinaires, troubles digestifs, maladies infectieuses, problèmes respiratoires et problèmes sexuels

L'OMS estime qu'ils résultent du stress, du sentiment d'impuissance généralisé et des conditions de vie. Les chercheurs locaux et Greenpeace sont plutôt convaincus que les radiations affectent le système immunitaire et fragilisent la population à plusieurs égards. Elles seraient ainsi à la source de bronchites, d'asthme, d'impuissance, d'ulcères, etc.

Problèmes psychiatriques

Pour l'OMS, c'est le problème majeur, les victimes étant deux fois plus anxieuses que les autres, ce qui serait dû à la peur, à la détresse et à la désinformation.

Les chercheurs locaux et Greenpeace sont au contraire convaincus que les radiations affectent directement le système nerveux central et neurologique.

Cataractes

L'OMS reconnaît que l'exposition à des doses plus basses qu'on ne le croyait cause des cataractes (même chez les enfants).

Les cancers attendus

D'ICI 2065

1. Chez les 600 000 victimes les plus irradiées : entre 3861 et 4158 cancers mortels.

2. Chez les six millions d'autres Ukrainiens, Russes et Biélorusses contaminés : entre 6732 et 22 440 cancers mortels.

3. Chez les 570 millions d'Européens plus ou moins exposés au nuage radioactif : entre 6700 et 38 000 cancers mortels.

Sources : Cardis et al, 1996, cité dans le rapport 2006 de l'OMS. Cardis et al, 2006, International Journal of Cancer.