Les grandes questions de l'heure en matière d'environnement, d'économie ou de géopolitique ont eu tôt fait de reléguer à l'arrière-plan l'enjeu de la défense de la langue française au Sommet de la francophonie.

Les préoccupations linguistiques demeurent, par opposition, toujours bien présentes à l'esprit de Warren Perrin.

Comme des milliers de Louisianais francophones, cet Américain de 63 ans veut à tout prix éviter que la langue de Molière ne soit rayée de la carte dans son État d'origine.

«C'est une bataille à n'en plus finir, on est menacés, mais on ne va pas lâcher parce qu'on a notre fierté», déclare en entrevue M. Perrin, qui passe parfois à l'anglais en cours de discussion pour s'exprimer plus librement.

Sa maîtrise imparfaite du français renvoie à une époque où l'usage de cette langue était très mal vu. «Mes parents n'avaient transmis que le français à mon frère plus âgé, qui a eu toutes sortes de difficultés à l'école. On le punissait constamment. Quand ils m'ont eu, ils ont décidé de me parler surtout en anglais», relate-t-il.

La situation aujourd'hui a bien changé, souligne M. Perrin, qui préside le Conseil pour le développement du français en Louisiane (CODOFIL). Grâce à des programmes éducatifs adaptés, des milliers d'enfants peuvent étudier en français.

«C'est devenu très populaire. On ne réussit pas à répondre à la demande de scolarisation», indique le Louisianais, très fier de dire que ses trois enfants et ses petits-enfants en âge de parler maîtrisent le français.

Des acquis fragiles

Les acquis demeurent cependant fragiles, note M. Perrin, qui relève la disparition récente dans trois universités de programmes de formation d'enseignants pour le français. «Nous allons devenir encore plus dépendants de la francophonie, qui nous envoie chaque année des centaines d'enseignants», relate-t-il.

Malgré les gains des dernières années, le nombre de francophones décline sensiblement en Louisiane, dit-il. Dans le dernier recensement connu, datant de 2000, 4,7% des résidants de l'État parlaient français à la maison et ce pourcentage a sans doute diminué depuis, relève M. Perrin.

«Il semble impossible de créer assez rapidement des jeunes francophones pour remplacer les vieux francophones qui meurent», relève David E. Marcantal, autre résidant de la Louisiane très engagé dans la défense de la langue française.

L'avocat, interrogé par téléphone avant le sommet, se montre amer envers le gouvernement fédéral américain, qui ne veut rien entendre, selon lui, de la promotion d'autres langues que l'anglais.

M. Perrin abonde dans le même sens. «Nous ne recevons rien, zéro, du gouvernement fédéral comme aide économique... C'est l'Amérique. L'attitude dominante est que nous n'avons pas besoin d'une autre langue», déplore M. Perrin, qui se réjouit de retrouver, dans les sommets de la francophonie, d'anciens amis et enseignants provenant du Québec, du Nouveau-Brunswick ou d'Afrique francophone.

Une occasion de refaire le plein d'énergie avant de retourner au front linguistique. «On ne va jamais lâcher la patate», conclut Warren Perrin, en reprenant une expression qui est, souligne-t-il, fréquemment utilisée en Louisiane.