Le prince de Galles et la duchesse de Cornouailles arrivent au Canada lundi. Ce sera l'occasion pour le premier héritier du trône britannique de présenter officiellement son épouse à ses sujets canadiens. Pendant qu'une majorité de Canadiens pensent désormais qu'Élisabeth II devrait être leur dernier monarque, pro et anti-monarchie entrent en campagne.

Le soleil ne se couche jamais sur l'Empire britannique, mais à l'horizon, son ciel s'ennuage. À 83 ans, la reine Élisabeth ne régnera pas éternellement. Et sa disparition soulèvera la même question, de l'Océanie à l'Amérique du Nord: la monarchie britannique a-t-elle encore sa place hors du Royaume-Uni?

«C'est une période très difficile pour la monarchie, constate l'historien Michael D. Behiels, de l'Université d'Ottawa. Dans les deux à trois prochaines décennies, les Canadiens auront certainement des décisions à prendre.» Et un avenir républicain pour le Canada est à envisager sérieusement, croit l'historien. «C'est une question de temps. Tout dépendra de la façon dont le prince Charles régnera.»

Selon un sondage de la firme Strategic Counsel publié l'été dernier, 65% des Canadiens croient qu'Élisabeth II devrait être leur dernier monarque. Robert Finch, directeur de la Ligue monarchiste du Canada, ne s'en formalise pas. «L'idée d'une république n'est pas très répandue», estime-t-il. Et son organisme compte à l'avenir préparer les Canadiens à adopter le prince Charles, futur roi du Canada.

Pas que décorative

Les monarchistes ne sont pas les seuls à préparer l'après-Élisabeth II. Pierre Vincent, des Citoyens et citoyennes pour une république canadienne, se considère lui aussi en campagne. «Il faut commencer à préparer le terrain maintenant pour que nous puissions devenir un pays pleinement souverain le moment venu.»

S'il y a une chose sur laquelle s'entendent étrangement pro et anti-monarchie, c'est que la monarchie canadienne n'est pas que décorative. Elle s'exprime partout, des pièces de monnaie aux tribunaux (les avocats de la poursuite plaident au nom de la reine), jusqu'aux serments d'allégeance des députés envers le souverain et les nombreuses places publiques célébrant des monarques.

«Le problème n'est pas d'avoir une monarchie décorative qui ne dérange personne, dit Marc Chevrier, professeur au département de sciences politiques de l'UQAM. Le problème est qu'on pense le pouvoir à travers des concepts monarchiques, sur l'idée que nous ne sommes pas des citoyens mais des sujets, que le pouvoir vient d'en haut, pas d'en bas. C'est très profond dans notre culture politique.»

En démocratie, le chef d'État incarne la stabilité en cas de crise partisane. Le Canada n'est pas une véritable monarchie constitutionnelle parce que ni son monarque ni aucun membre de sa famille n'y réside, estime Marc Chevrier. Le Royaume-Uni, l'Espagne et la Belgique, par exemple, ont un monarque aimé et respecté du peuple qui dispose de l'autorité morale pour traverser les crises politiques.

Mais pour Robert Finch, la reine reste un puissant élément unificateur du pays. Même au Québec, où le prince Charles mettra les pieds pour la première fois en 33 ans. «Les Québécois doivent réaliser que l'autonomie dont ils jouissent aujourd'hui, leur identité, leur culture, ils les doivent à la monarchie.»

Souverain parfait?

Si le débat sur la république n'est pas des plus actifs au Canada, ce n'est pas le cas ailleurs. Lors d'un référendum en 1999, les Australiens ont rejeté le modèle de république proposé, mais n'ont pas dit oui pour autant à la monarchie, ont noté les observateurs. D'ailleurs, le gouvernement travailliste en place est clairement en faveur d'une république. «Même le gouverneur général en Australie a récemment déclaré que la république n'était qu'une question de temps», dit Marc Chevrier.

«L'Australie, la Nouvelle-Zélande, la Barbade et la Jamaïque sont carrément lancées dans la course vers la république, dit Pierre Vincent. La semaine dernière, la Nouvelle-Zélande en a débattu au Parlement!»

Robert Finch croit cependant que le prince de Galles convaincra ses sujets de lui remettre la couronne canadienne. Écolo avant l'heure, sensible aux jeunes défavorisés, soucieux de jeter des ponts entre l'Occident et le monde musulman, «Charles est le souverain parfait pour le XXIe siècle», croit M. Finch.