Un arrière-goût de «Guerre froide». Au lendemain de l'annonce de l'arrestation aux États-Unis de dix Russes soupçonnés d'espionnage pour le compte de leur pays, Moscou a demandé mardi des explications à Washington, dénonçant des interpellations réalisées quelques jours seulement après la visite du président russe Dimitri Medvedev aux États-Unis.

«Ils ne nous ont pas expliqué de quoi il s'agit», a déclaré Sergueï Lavrov lors d'une conférence de presse à Jérusalem, où il effectuait une visite. «J'espère qu'ils le feront. La seule chose que je peux dire aujourd'hui, c'est que le moment pour faire cela a été choisi avec une élégance particulière», a-t-il ironisé.

Le ministère russe des Affaires étrangères a ensuite dénoncé des actions «infondées». «Nous ne comprenons pas les raisons qui ont poussé le ministère américain de la Justice à faire une déclaration publique digne des histoires d'espionnage du temps de la Guerre froide», ajoute le ministère.

Dimitri Medvedev a rencontré Barack Obama à la Maison-Blanche la semaine dernière, après avoir visité des entreprises de haute technologie de la Silicon Valley, en Californie. Les deux présidents ont échangé des plaisanteries, dégusté ensemble des cheeseburgers et se sont promenés dans un parc, souhaitant symboliser par cette apparente camaraderie le resserrement actuel des liens entre leurs deux pays.

Mais lundi, le ministère américain de la Justice a annoncé que le FBI avait arrêté dans le nord-est des États-Unis dix personnes soupçonnées d'avoir travaillé pendant plusieurs années comme agents secrets pour le service de renseignements extérieurs russe, le SVR. Selon les autorités américaines, le FBI a notamment intercepté un message provenant du siège du SVR, à Moscou, envoyé à deux des suspects, leur demandant «de chercher et de développer des liens au sein des cercles décisionnaires aux États-Unis».

Parmi les dix personnes arrêtées figurent quatre couples vivant dans les banlieues de New York, Washington et Boston. Une femme, née au Pérou, était reporter dans un grand journal hispanophone de New York et, selon le FBI, elle avait contacté un responsable russe en 2000 en Amérique latine.

Les dix suspects ont été inculpés de conspiration visant à agir comme agent pour un gouvernement étranger sans informer le ministre américain de la Justice, ce qui est passible de cinq ans de prison. Neuf d'entre eux ont aussi été inculpés de conspiration en vue de blanchir de l'argent, ce qui est passible de 20 ans de prison.

La police chypriote a annoncé mardi avoir interpellé un onzième suspect, un citoyen canadien recherché par les États-Unis pour espionnage et blanchiment d'argent au profit de la Russie. Il a été arrêté à l'aéroport de Larnaca alors qu'il essayait de prendre un avion à destination de la Hongrie.

D'après les autorités américaines, les suspects travaillaient parfois par deux et prétendaient être mariés pour mieux se fondre dans la société américaine et passer pour les voisins idéaux.

Outre de fausses identités, le ministère de la Justice affirme qu'ils utilisaient des technologies dignes des films d'espionnage. Les documents de justice décrivent des textes écrits à l'encre sympathique, des communications cryptées à courte distance entre ordinateurs portables, des transmissions radio codées ou même des pièces de monnaie évidées comme celles qu'employait le colonel soviétique Rudolf Abel dans les années 50 pour dissimuler des microfilms.

On ignorait dans l'immédiat comment et où ils ont été recrutés, mais selon les documents de justice, le début de cette opération remonte aux années 1990.

Au printemps 2009, Richard et Cynthia Murphy, qui vivaient dans le New Jersey, se seraient vu demander des informations sur le voyage de Barack Obama prévu en Russie cet été-là, la position de Washington pour les négociations sur le traité de réduction de l'armement START et l'approche américaine sur le dossier du nucléaire iranien.

Un message qui aurait été intercepté précise que Cynthia Murphy avait eu plusieurs rencontres professionnelles avec un homme décrit comme un influent responsable de la finance new-yorkaise actif en politique. Il aurait été considéré par le siège du SVR comme une cible intéressante qui pourrait fournir des «'roumeurs» (sic) sur la cuisine interne à la Maison-Blanche» ou les introduire dans les hautes sphères politiques. «Bref, envisagez soigneusement toute option en ce qui concerne» ce financier, résumait le message.

Un suspect vivant dans le Massachusetts serait par ailleurs entré en contact en 2004 avec une personne travaillant sur un site de recherche du gouvernement américain et censée s'occuper de la stratégie en matière de développement d'armement nucléaire.