Il a fallu plus de vingt-cinq ans à la justice indienne pour condamner d'anciens cadres dirigeants de l'usine d'où s'était échappé du gaz mortel à Bhopal en 1984, mais les opérations de dépollution du site prendront encore davantage de temps.

Le 3 décembre 1984, 40 tonnes de gaz toxique s'étaient échappées d'une usine de pesticides du groupe chimique américain Union Carbide, située près de zones résidentielles à Bhopal, ville du centre de l'Inde.

Plus de 25 000 personnes sont mortes et environ 100 000 habitants souffrent de maladies chroniques telles que problèmes rénaux, déséquilibres hormonaux et formes de cancers. C'est la pire catastrophe de l'histoire industrielle.

Un tribunal de Bhopal a condamné lundi sept anciens dirigeants de la filiale indienne d'Union Carbide à une peine de deux ans d'emprisonnement.

Le verdict, unanimement perçu en Inde comme indulgent au regard du bilan humain et environnemental, a attisé les griefs sur la façon dont l'entreprise et les autorités ont géré les conséquences de l'accident.

Depuis des années, scientifiques et associations environnementales crient au scandale: selon eux, les autorités locales n'ont jamais complètement dépollué le site, ce qui signifie que des produits toxiques laissés sur place poursuivent leur action destructrice.

Encore aujourd'hui, certains naissent avec de graves malformations.

«Personne ne veut nettoyer le poison encore sur le site et toutes nos réclamations pour l'élimination des déchets ont échoué», dénonce Satinath Sarangi, membre d'une organisation de volontaires médicaux à Bhopal, Sambhavna.

Un an après la fuite de gaz, les autorités avaient collecté 350 tonnes de déchets mais les avaient laissées dans la cour de l'usine, au mépris des normes de sécurité.

Au cours des vingt dernières années, plusieurs études ont montré que des produits toxiques et des métaux lourds s'étaient infiltrés dans le sol, contaminant les nappes phréatiques, seule source d'eau potable pour 20.000 habitants vivant aux alentours.

En 2004, une décision de justice demandant à l'État du Madhya Pradesh, dont Bhopal est la capitale, de nettoyer le site n'a été que partiellement respectée.

Selon une étude l'an dernier d'une ONG, le Centre pour la science et l'environnement (CSE), les nappes phréatiques situées à trois kilomètres de l'usine contiennent 110 fois plus de carbaryl -- substance de produit phytosanitaire présentant un effet insecticide -- que la quantité maximum autorisée dans les bouteilles d'eau en Inde.

«De l'usine émane une toxicité chronique qui conduit à l'empoisonnement», juge le directeur du CSE, Sunita Narain.

Le gouvernement local reconnaît l'existence de déchets sur le site.

«Pendant des années, l'affaire était en justice et on ne pouvait pas nettoyer l'usine d'Union Carbide mais, maintenant, nous avons le feu vert pour s'en débarrasser», affirme R.K. Jain, membre du Comité de contrôle de la pollution du Madhya Pradesh.

Selon lui, 350 tonnes de déchets pourraient être incinérées d'ici septembre.

D'autres jugent qu'Union Carbide a fui ses responsabilités.

«Le gouvernement indien a échoué à faire en sorte que le groupe prenne en charge le nettoyage», dénonce Abhishek Pratap, membre de Greenpeace.

L'américain Dow Chemical, qui a racheté Union Carbide en 1999, estime, lui, que les responsabilités ont été effacées depuis l'accord de 1989 avec le gouvernement indien pour le versement de 470 millions de dollars destinés aux indemnisations et à la dépollution.

Mais les habitants restent convaincus qu'ils courent toujours un risque. «Je bois les produits chimiques qui ont tué ma fille», lâche Savitri Mahe qui a perdu sa fille de 16 ans le soir de l'accident.