À 87 ans, Nadia Popova est l'incarnation même de la fierté militaire. Elle se tient encore droite comme une barre quand elle enfile son veston d'apparat, couvert de médailles. L'une de ces décorations attire particulièrement l'attention: cette ancienne pilote de la Seconde Guerre Mondiale est l'une des rares à avoir reçu l'emblème des héros de l'Union soviétique.

Elle est aussi l'une des toutes dernières à pouvoir encore témoigner de l'immense rôle que les femmes ont joué lors de cette guerre qui a fait près de 20 millions de morts en Union soviétique seulement. À elles seules, les volontaires féminines représentaient 8% des rangs de l'Armée rouge.

«J'étais membre d'un club d'aviation quand Staline a envoyé un message, demandant aux femmes qui s'y sentaient disposées de s'enrôler. J'avais à peine 18 ans, mais j'ai tout de suite voulu faire ma part», raconte-t-elle de son appartement qui a une vue imprenable sur le centre-ville de Moscou.

Nadia Popova a rejoint un des escadrons de femmes pilotes. Son avion, en bois, était tellement lourd qu'il était impossible de prendre des parachutes à bord une fois les bombes fixées à l'appareil. «Si nous nous faisions prendre par les Allemands, nous brûlions avec l'avion», se souvient-elle.

Surnommées «les sorcières de la nuit» par les Allemands qui les redoutaient, Nadia Popova et ses camarades d'armes ont effectué à elles seules 30 000 missions.

D'héroïne à sans emploi

Après la guerre, leurs exploits au front ont été une pièce maîtresse de la propagande communiste sur l'égalité des femmes. Mais alors que les héroïnes comme Nadia Popova paradaient sur la place Rouge, elles étaient remerciées des rangs de l'aviation. «Elles étaient des icônes, mais elles ont été vite mises à la porte. Après la guerre, l'Armée rouge était à nouveau devenue une organisation complètement masculine», explique Cynthia Enloe, professeure à l'Université Clark, au Massachusetts et l'une des plus grandes expertes mondiales sur la place des femmes dans les conflits armés.

Selon Mme Enloe, le sort réservé aux anciennes combattantes soviétiques n'est pas qu'anecdotique. Dans presque toutes les cultures, les femmes qui prennent part à la guerre sont vues comme une exception qu'on s'empresse d'oublier. «Le combat étant un des derniers bastions typiquement masculins, c'est difficile pour beaucoup d'hommes de reconnaître que les femmes sont capables de le faire aussi. Dans la population civile, beaucoup de gens ont de la difficulté à accepter qu'une femme soit capable de violence qui peut mener à des fatalités», justifie Mme Enloe.

La fin de l'invisibilité

Le hic, cependant, est que le rôle des femmes comme actrices des conflits est de plus en plus difficile à ignorer. «Depuis 15 ans, on voit un accroissement constant dans le nombre de femmes qui entrent dans des organisations militaires traditionnelles. Cette proportion a commencé à augmenter dès que les pays occidentaux ont abandonné la conscription des hommes», explique Lory Manning du Women Research and Education Institute de Washington D.C.

La guerre en Irak en est un excellent exemple. À ce jour, 230 000 femmes américaines ont pris part à l'effort de guerre. Plus de 600 d'entre elles ont été grièvement blessées et 107 y ont laissé leur vie et ce, même si les règles américaines empêchent les femmes d'occuper certaines positions de combat dans l'armée de terre.

«De nos jours cependant, ça ne veut plus rien dire. Avec des mouvements d'insurrection comme on voit en Irak, il n'y a plus de ligne de front définie. Toutes les soldates peuvent se retrouver sous les bombes ou dans la ligne de feu, mais malheureusement, elles ne sont pas reconnues comme combattantes et n'ont pas tous les privilèges qui viennent avec ce titre», explique Helen Benedict, professeur de journalisme à l'Université Columbia.

Pour son plus récent livre, The Lonely Soldier, (La soldate esseulée) Mme Benedict a interrogé 40 militaires américaines qui ont été déployées en Irak. «Elles m'ont presque toutes dit qu'elles en ont assez d'être invisibles. On ne parle d'elles à la télévision que lorsqu'elles se font tuer», soutient la chercheuse.

L'amnésie qu'aime les terroristes

En plus des armées traditionnelles, d'autres groupes armés voient leurs contingents de femmes guerrières s'accroître. C'est le cas des groupes rebelles - que ce soit le PKK kurde, les Tigres tamouls du Sri Lanka et plusieurs groupes de rebelles au Congo où les femmes forment de 30 à 40% des effectifs - mais aussi celui des organisations terroristes où la présence des femmes croît sans cesse.

Auteure de Bombshell: Women and Terror (Effet d'une bombe: les femmes et la terreur), Mia Bloom a noté qu'entre 1985 et 2008, des femmes ont été responsables du quart des attentats suicide perpétrés. En général, explique la professeure de l'Université d'État de la Pennsylvanie, ces dernières sont beaucoup plus efficaces que leurs équivalents masculins. «Parce qu'elles éveillent moins de soupçons, les femmes terroristes ont plus de facilité à atteindre leurs cibles, explique Mme Bloom. Elles sont devenues l'arme de choix de la guerre psychologique.» Conscientes de cet avantage, des organisations terroristes islamistes, qui ont longtemps hésité à utiliser des femmes kamikazes, ont changé leur fusil d'épaule. C'est notamment le cas d'Al-Qaeda en Irak, qui comme le mouvement tchétchène et palestinien, a de plus en plus souvent recours aux femmes pour commettre des attentats suicide. «Ça semble si contraire au rôle naturel des femmes, qu'il y a un oubli collectif. Il y a un effet de surprise chaque fois. On oublie que la première personne terroriste de l'histoire était une femme, l'anarchiste russe Vera Zasulich. On a de la difficulté à relier les points.»

Le prix de l'invisibilité

Si l'invisibilité des femmes guerrières joue en faveur ces jours-ci des organisations terroristes, elle désavantage les femmes elles-mêmes, de l'aveu du Conseil de sécurité des Nations unies qui a adopté au cours des 10 dernières années plusieurs résolutions pour remédier au problème. «Les femmes, même lorsqu'elles sont combattantes, sont vues comme des victimes plutôt que comme des actrices d'un conflit. Elles ne sont pas considérées lorsque le temps est venu de négocier la paix. Ce sont les chefs de guerre qu'on convie seulement», dit la chercheuse Mélanie Coutu de l'Université du Québec à Montréal.

Dans un rapport qu'il a publié au début de la semaine, le secrétaire général des Nations unies fait exactement le même constat. «L'inclusion des femmes dans le processus de paix est beaucoup trop lent», conclut-il.

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D'infirmières à combattantes

Dans l'armée canadienne, les femmes ont lentement fait leur place. D'abord comme infirmières, puis comme militaires à part entières à partir de 1965. Ce n'est qu'en 1987 que les femmes ont eu droit d'accéder à tous les grades et tous les secteurs des forces canadiennes.

25%

En Irak, en Palestine, au Sri Lanka, en Turquie et en Tchétchénie, de plus en plus de femmes appartiennent aux organisations terroristes. Entre 1985 et 2008, les femmes kamikazes ont perpétré 230 attaques suicide, soit le quart de toutes les attaques.

Dangereuses

En règle générale, les femmes kamikazes font quatre fois plus de victimes que les hommes.

Femmes rouges

L'armée soviétique a été avant-gardiste en enrôlant des milliers de femmes lors de la Seconde Guerre mondiale. Les femmes furent déployées sur tous les fronts comme pilotes, tireuses d'élite, dans l'infanterie ou en participant à la résistance. Cependant, elles ont été exclues de l'Armée rouge après la guerre. Les femmes ont aussi tenu des rôles importants dans les forces armées qui ont renversé le régime chinois et dans les forces de résistance du Vietnam du Nord.

Armées dès 400 av. J.-C.

En 1994, des archéologues russes et américains ont découvert des restes de femmes guerrières dans les steppes à la frontière de la Russie et du Kazakhstan. Cette découverte suggère que des femmes savaient manier les armes aussi bien que les hommes près de 400 ans avant Jésus-Christ.

Sources: Women in the Military: Where Are They at? (Les femmes dans les organisations militaires: où en sont-elles), publié par le Women Research Education Institute, Washington D.C. et Boloom, Mia, Bombshell : Women and Terror. Toronto: Penguin Canada, janvier 2010.

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Les femmes dans les forces armées

Nouvelle-Zélande

29,9%

8720 militaires (total)

2607 femmes

Slovénie

16,3%

5969 militaires

974 femmes

États-Unis

14,3%

1 405

176 militaires

200 888 femmes

France

14%

349 938 militaires

49 012 femmes

Australie

13,4%

51 198 militaires

6800 femmes

Canada

13.2%

63 175 militaires

8339 femmes

Photo: AFP