Tout en se gardant de vouloir faire la leçon aux Rwandais, la gouverneure générale Michaëlle Jean les a appelés à ne plus être «captifs» de leur histoire. Dans le contexte où il a été livré, ce message ne pouvait être compris que comme un appel à une plus grande liberté de la presse.

Michaëlle Jean s'adressait à un millier de personnes, dont de nombreux étudiants en journalisme, à l'issue d'un débat sur le rôle des médias en démocratie, tenu à l'Université nationale du Rwanda à Butare, hier.

 

Située à deux heures de route de Kigali, cette université a été le théâtre de scènes atroces lors du génocide de 1994. Des enseignants avaient assassiné leurs étudiants, et des étudiants avaient tué leurs propres camarades, a rappelé la gouverneure générale.

Il est difficile d'imaginer que ces événements aient pu se dérouler dans ce campus coquet, niché au milieu d'un terrain ombragé. À l'époque, les médias, dont la fameuse radio des Mille Collines, avaient joué un rôle clé dans l'incitation à la tuerie.

Pour prévenir de tels excès, le gouvernement rwandais a établi des mécanismes de contrôle des médias, interdisant les propos «génocidaires et divisionnistes» et accordant à un Haut conseil des médias l'autorité de fermer ceux qui ne respectent pas la loi.

Hebdos suspendus

Récemment, ce Conseil a suspendu pour six mois deux hebdomadaires, Umuseso et Umuvigizi, les accusant d'insulter le chef de l'État et d'appeler l'armée et la police à l'insubordination.

Reporters sans frontières a dénoncé cette décision, qui survient à quatre mois de la prochaine élection présidentielle. La suspension de deux journaux indépendants «prive les lecteurs d'une alternative cruciale», estime le Comité de protection des journalistes.

La décision du Haut conseil des médias a été au coeur du débat d'hier. «Il n'y a pas de liberté de la presse au Rwanda», a lancé d'emblée Allan Thompson, professeur à l'Université de Carleton qui gère une école de journalisme à Butare.

La discussion qui a suivi a été d'autant plus vive que deux membres du Haut conseil des médias figuraient parmi les participants à une table ronde. Les deux publications ont été suspendues parce qu'elles ne respectaient pas la loi et refusaient de rentrer dans le rang, malgré de nombreux avertissements, a expliqué Arthur Asiimwe. Ce dernier a défendu l'indépendance du Conseil, soupçonné d'exécuter les volontés du régime.

«Nous sommes totalement indépendants», a-t-il claironné, soulevant des éclats de rire dans l'assistance. «Qui parmi vous est d'accord avec la suspension des deux journaux?» a demandé un autre participant. À peine une vingtaine de mains se lèvent dans l'auditorium rempli à craquer.

«Les médias, à l'époque du génocide, ont participé à la logique de la haine et de la destruction, ça reste inscrit dans la mémoire», a reconnu Michaëlle Jean, qui concluait la rencontre. Insistant sur l'importance d'une presse libre et responsable, elle a appelé les Rwandais à «exorciser la peur pour mieux avancer.»

Michaëlle Jean achevait hier la troisième étape de sa tournée sur un continent tourmenté, où elle a prêté oreille à des victimes de conflits en cours ou passés. La gouverneure générale fait un arrêt au Cap-Vert aujourd'hui, dernière étape de sa tournée africaine, avant de rentrer au pays demain.

 

Opposante Mise en liberté

L'opposante rwandaise Victoire Ingabire, arrêtée mercredi à Kigali et poursuivie par la justice rwandaise pour «association avec un groupe terroriste» et «négation du génocide», a été mise en liberté hier et placée sous contrôle judiciaire en attendant son procès. Le tribunal de Gasabo à Kigali a ordonné la mise en liberté provisoire de Mme Ingabire, assortie d'une obligation de se présenter tous les lundis devant le juge et d'une interdiction de quitter la capitale. Rentrée d'exil en janvier et candidate déclarée à l'élection présidentielle d'août au Rwanda, Mme Ingabire est notamment accusée d'association avec les rebelles hutus rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), établis dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC). d'après AFP

 

Imbroglio à Ottawa

Les regrets de Michaëlle Jean pour l'inaction du Canada à l'époque du génocide rwandais ont causé un incident diplomatique, le bureau du premier ministre Stephen Harper s'étant montré surpris par son geste. Dans l'entourage de la gouverneure générale, on attribue cet imbroglio à la «confusion quant à la portée du message» de Mme Jean. Et on assure que le bureau du premier ministre était bien au courant de ses intentions et les avait approuvées avant le voyage. Pour sa part, le sénateur Roméo Dallaire, qui a tenté en vain d'empêcher le génocide rwandais perpétré en 1994, a salué hier les excuses de Michaëlle Jean. Mais les explications du bureau du premier ministre, qui s'est défendu la veille d'avoir présenté des excuses officielles par l'entremise de sa gouverneure générale, ont irrité le général à la retraite. La Presse, avec PC