L'épineuse question des projets d'extension en Europe du bouclier antimissile des États-Unis, qui irrite la Russie, a jeté une ombre sur la signature historique jeudi à Prague d'un nouveau traité de désarmement nucléaire entre les deux pays.

«Ce traité (...) ne peut fonctionner et n'est viable que s'il n'y a pas d'expansion qualitative et quantitative d'un possible système de défense antimissile américain», a déclaré le Kremlin tout juste après la signature pourtant chaleureusement saluée par les présidents des deux pays comme un tournant majeur dans les relations bilatérales.

Les deux dirigeants venaient de parapher dans la Salle espagnole richement décorée du Château de Prague le texte, fruit de négociations bilatérales serrées, menées à Genève pendant de longs mois, mais aussi première avancée concrète dans les relations russo-américaines depuis de longues années.

Moscou et Washington s'engagent à réduire le nombre de leurs ogives nucléaires à 1 550 chacun, soit une baisse de 74% par rapport à la limite du traité START, acronyme de «Strategic Arms Reduction Talks» (Pourparlers sur la réduction des armes stratégiques). Signé en 1991 cet accord était arrivé à échéance fin 2009.

Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov avait déjà averti le 6 avril que la Russie se réservait le droit de sortir du nouveau traité si le bouclier antimissile américain venait à menacer son potentiel nucléaire.

Des mises en garde atténuées jeudi par un responsable russe et relativisées par les experts, pour qui elles reflètent les inquiétudes de Moscou et sa volonté d'être consulté par Washington sur les questions de l'équilibre des forces stratégiques.

«Nous ne disons pas que nous allons nous retirer du traité à tout moment», a déclaré jeudi à la presse le vice-ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Riabkov, expliquant qu'il s'agissait de souligner que ce texte n'était «pas conclu dans un vide».

«Il est lié à un autre pilier de la stabilité stratégique que sont les capacités de défense antimissile», a-t-il ajouté.

La secrétaire d'État américaine Hillary Clinton avait récusé, en réaction aux propos de M. Lavrov tout lien entre le nouveau traité START et les projets américains de bouclier.

«Je ne pense pas qu'ils seraient allés jusqu'à signer s'ils pensaient se retirer ou poser des conditions», a déclaré jeudi à l'AFP Stephen Flanagan, expert du Center for Strategic and International Studies basé à Washington.

«Ils veulent clairement donner le sentiment que les États-Unis ne peuvent avancer» dans leurs projets «sans consulter les Russes», a-t-il ajouté.

Washington a gelé en septembre un premier projet d'installation en Europe centrale, encore dans le glacis de Moscou il y a une vingtaine d'années, d'éléments de son bouclier antimissile. Mais Moscou affirme avoir aussi des «questions sérieuses» sur la nouvelle version.

«La Russie n'a pas l'intention de quitter le traité qui est plus important pour nous que pour les Américains», a commenté Pavel Felgenhauer, analyste des questions de défense du journal russe d'opposition Novaïa Gazeta.

«La défense antimissile russe ne deviendra une menace pour la dissuasion nucléaire russe que peut-être dans 20 ans ou même jamais», a-t-il estimé.

«Est-ce que ce type de déclaration est un moyen de conserver l'attention de  Washington, qui est toujours une préoccupation de Moscou ?», s'interroge Thomas Gomart, spécialiste de la Russie à l'Institut français des relations internationales.

«La Russie assoit son statut international sur le nucléaire. Discuter de nucléaire avec les États-Unis est valorisant pour sa diplomatie, valorisant par rapport aux Chinois, aux puissances nucléaires émergentes et par rapport aux Européens», a-t-il ajouté.