Dans le récent film de science-fiction de Neill Blomkamp, le District 9 est un bidonville de Johannesburg dans lequel les Sud-Africains enferment des extraterrestres et leur font revivre le pire de l'apartheid. Dans la vraie vie, le District 6 est un quartier du Cap qui, 44 ans après avoir été purgé de sa population multiculturelle par le gouvernement blanc de l'époque, rouvre graduellement ses portes à ses anciens habitants, comme a pu le constater notre envoyée spéciale.

Un minaret. Une église. Quelques maisons et beaucoup de terrains vagues. De l'autoroute qui relie l'aéroport au centre-ville, le District 6 apparaît aux visiteurs comme une cicatrice dans le visage du Cap.

 

«Il faut aller y faire un tour. C'est un quartier fascinant», explique le guide touristique, Ebrahim Patel. Il se corrige tout de suite: «En fait, c'était. Quand j'étais enfant.»

Comme 70 000 autres personnes, M. Patel et sa famille ont été expulsés du District 6 en 1966. Quartier populaire où cohabitaient pacifiquement des esclaves affranchis, des commerçants, des artisans et des artistes de toutes les origines et de toutes les races, le District 6 a été rasé avec des bulldozers sous les yeux de ses résidants. Hormis les Blancs, tous les locataires ont été envoyés dans les townships en marge du Cap. La plupart y vivent encore aujourd'hui.

«J'ai vu ma maison disparaître en quelques minutes. Là où j'ai grandi, il y a un collège, maintenant», témoigne à son tour Noor Ebrahim, un septuagénaire musulman.

Mémoire populaire

La destruction à grande échelle et l'arrivée des nouveaux résidants blancs n'ont cependant pas réussi à effacer le passé. Fondateur et guide du musée du District 6, Noor Ebrahim raconte tous les jours son histoire et celle de ses anciens voisins. Sur un des murs de l'établissement, on peut voir des photos de la maison de son enfance.

C'est d'ailleurs avec l'idée de faire revivre la mémoire populaire que le musée a été ouvert en 1994. Les anciens résidants du quartier ont été invités à recréer virtuellement une partie de leur monde disparu. Sur une grande carte dessinée au plancher, ils ont marqué d'une croix l'endroit où se trouvait leur maison. Certains ont littéralement rebâti des bribes de leur passé dans l'ancienne église méthodiste qui abrite le musée, en réaménageant une cuisine ou une chambre avec les meubles d'antan.

L'initiative a porté ses fruits. Le mois dernier, au lendemain des célébrations entourant le 20e anniversaire de la libération de Mandela, un nouveau théâtre, qui célébrera le patrimoine du District 6, a ouvert ses portes. Lentement mais sûrement, le gouvernement post-apartheid rachète des terrains du quartier pour les redonner aux résidants expulsés. Des 70 000 personnes évincées, 15 000 pourront revenir dans District 6 par la grande porte.

Noor Ebrahim sera bientôt de ceux-là. Dans les prochains mois, il emménagera dans une petite maison construite par le gouvernement. «Elle n'est pas au même endroit que l'ancienne, mais ce sera très bien. La boucle sera bouclée», dit-il, enthousiaste.