Le corps sans vie d'un cadre du Hamas retrouvé dans le lit de sa chambre d'hôtel à Dubaï. Sur sa chaise, des pantalons sont pliés. La porte, elle, est verrouillée de l'intérieur. Mort naturelle? C'est ce que les meurtriers voulaient faire croire. Appuyée par les dernières technologies, une enquête a toutefois transformé le «meurtre parfait» en crise diplomatique.

Moins de deux semaines après la découverte du corps de Mahmoud al-Mabhouh dans la chambre 230 de l'hôtel de luxe Al Bustan Rotana, les policiers de Dubaï ont dévoilé la photo de 11 suspects, annoncé que tous avaient utilisé de faux passeports européens ou australiens et rendu publiques des images d'une trentaine de minutes tirées de caméras de surveillance.

Sur ces images, on voit autant l'arrivée à l'aéroport puis à l'hôtel de la victime que les déplacements des assassins présumés qui traquent de près leur proie.

Des segments des vidéos de surveillance, dignes d'un épisode de 24 heures chrono, montrent notamment un suspect qui entre dans les toilettes d'un hôtel pour en ressortir déguisé, une perruque sur la tête. Un autre met en vedette deux «joueurs de tennis» qui, tout en discutant, suivent le commandant du Hamas jusqu'à sa chambre.

Quelques minutes avant et après l'heure de l'assassinat, établie par le coroner qui a conclu que Al-Mabhouh a été empoisonné et électrocuté avant d'être étouffé avec un oreiller, on voit quatre hommes portant des calottes entrer dans l'ascenseur et en sortir, au deuxième étage de l'hôtel.

En recoupant les images des caméras, les données des compagnies aériennes et des douanes, des traces d'ADN et les appels téléphoniques échangés le 19 janvier, la police de Dubaï a réussi à bâtir un portrait de l'opération secrète qui semble avoir été menée par au moins 26 personnes.

La police a aussi été capable d'établir que les suspects et leurs complices ont quitté les Émirats arabes unis avant que le corps de Mahmoud Al-Mabhouh ne fut retrouvé à 1h30 du matin, le 20 janvier.

Le Mossad montré du doigt

Les accusations ont suivi. «Notre enquête révèle que le Mossad (la police secrète israélienne) est impliqué dans le meurtre. Nous sommes sûrs à 99%, sinon à 100%, que l'assassinat est son oeuvre», a dit le chef de la police de Dubaï, le lieutenant-général Dahi Khalfan Tamim, en conférence de presse. Il a en outre demandé l'arrestation du premier ministre d'Israël, Benyamin Nétanyahou, et du chef du Mossad.

Israël refuse de commenter l'affaire, mais on sait que l'État hébreu soupçonnait Al-Mabhouh d'acheter des armes en Iran pour la bande de Gaza et le tenait responsable du meurtre de deux soldats israéliens en 1989.

Un silence qui en dit long, selon l'expert du Mossad Gordon Thomas. «Le refus du gouvernement israélien de commenter l'histoire a une fois de plus fait la publicité de sa police secrète dans le monde entier», a-t-il écrit dans le quotidien britannique The Telegraph.

Auteur de l'essai Gideon's Spies (Les espions de Gédéon) - un portrait du Mossad, de sa création en 1951 à aujourd'hui -, Thomas note que le meurtre porte plusieurs marques des Kidons, membres du commando d'élite du Mossad, responsable des assassinats.

Leurs techniques de prédilection incluent l'utilisation de poison, l'étranglement et les décharges électriques, écrit M. Thomas. Le recours aux passeports étrangers est aussi une marque de commerce. Le Canada a été deux fois victime de ce subterfuge, note à ce sujet Rex Brynen, professeur de sciences politiques à l'Université McGill.

Techno surprise

Auteur d'une grande enquête sur l'assassinat manqué du Mossad contre un ancien chef du Hamas, Khalid Mishal, le journaliste australien Paul McGeough a lui aussi peu de doutes sur les responsables de l'assassinat.

«Leur opération s'est bien et mal déroulée à la fois, estime le reporter. Ils ont eu leur homme alors qu'ils ont été incapables de faire la même chose en 1997, mais ils avaient sous-évalué la technologie utilisée par les policiers à Dubaï. Cette histoire montre qu'il sera de plus en plus difficile pour le Mossad de commettre des assassinats dans des tiers pays et d'en sortir indemne. Il faut se demander si la mort de Al-Mabhouh valait le mal de tête qu'Israël et le Mossad ont maintenant».

L'État hébreu a notamment été apostrophé par plusieurs de ses alliés, dont la Grande-Bretagne et l'Australie, furieux que des passeports à leur effigie aient été utilisés lors de l'opération meurtrière.

Mais selon le politologue Rex Brynen, l'impact sur Israël ne sera pas que négatif. «Les effets régionaux seront limités. L'attaque sur Gaza l'an dernier a fait beaucoup plus de tort. Pour Nétanyahou, c'est plutôt positif. Il a l'air d'un dur à cuire aux yeux de ses électeurs».