Tibet, Taïwan, Google, les nuages se sont brutalement amoncelés sur une relation sino-américaine dont le président Barack Obama avait annoncé après son arrivée à la Maison-Blanche qu'elle «façonnerait le XXIe siècle».

Et si certains analystes évoquent une «escalade contrôlée», Pékin et Washington n'en traversent pas moins, deux mois et demi après la première visite d'Obama en Chine, la pire zone de turbulences depuis l'installation de l'actuelle administration américaine. Mardi, la Chine, ulcérée par de nouvelles ventes d'armes américaines à Taïwan, a averti les États-Unis qu'ils seraient «entièrement responsables» s'ils perdaient sa coopération sur «les grands dossiers internationaux».

Référence implicite aux programmes nucléaires de l'Iran et la Corée du Nord où l'aide de Pékin est plus que jamais sollicitée.

Le fait que la Chine laisse ses internautes se déchaîner contre l'«Oncle Sam» et ses médias de langue anglaise vitupérer contre «l'arrogance» ou «l'hypocrisie» américaine en dit long sur la dégradation du climat.

«Il est sûr que les événements récents vont avoir un impact négatif sur les relations sino-américaines et les frictions pourront se multiplier», estime Jia Qingguo, professeur en relations internationales à l'Université de Pékin.

Dans un contexte déjà assombri par les querelles sur le niveau du yuan et la saisine de l'OMC pour plusieurs différends commerciaux, les tensions ont réellement surgi il y a trois semaines avec Google.

Touchant à la fois à l'économie et au politique avec la question sensible de la censure, «l'affaire Google» a fini par impliquer les deux gouvernements, Washington sommant la Chine de fournir des explications sur les attaques contre le moteur de recherches californien et Pékin protestant de sa souveraineté.

Ajoutant à la tension, Pékin a averti mardi qu'une rencontre entre Barack Obama et le dalaï lama «minerait sérieusement les fondations politiques des relations sino-américaines».

Le chef spirituel des bouddhistes tibétains est attendu à Washington le 16 février pour une tournée américaine de dix jours.

L'annonce, vendredi dernier, de ventes de missiles antimissiles Patriot, de navires chasseurs de mines sous-marines et d'hélicoptères Black Hawk par les États-Unis à Taïwan avait mis de l'huile sur le feu.

Pour la première fois, la Chine ne s'est pas contentée de protester vivement ni de suspendre ses échanges militaires avec les États-Unis: elle a annoncé des sanctions contre les compagnies américaines impliquées.

«Les États-Unis ont semblé un peu abasourdis de la réaction plus forte que prévu de la Chine», notait mardi le quotidien Global Times, alors qu'un responsable militaire américain qualifiait l'attitude de Pékin de «regrettable».

Pour Jean-Pierre Cabestan, de la Hong Kong Baptist University, la Chine «se sent plus forte et sent les États-Unis plus faibles».

Les Chinois «pensent qu'ils peuvent pousser un peu plus loin leur avantage» face à des États-Unis dans une situation économique difficile, plus dépendants de la Chine, endettés auprès de la Chine», dit-il.

Contrairement à ses prédécesseurs, Obama est arrivé au pouvoir en tendant la main à la Chine, attitude conciliante interprétée par Pékin comme un signe de faiblesse, explique Jean-Philippe Béja, chercheur au Centre d'études français sur la Chine contemporaine (CEFC) à Hong Kong.

Pékin en a profité pour «être très dur à Copenhague» aux négociations sur le climat, ou «condamner lourdement (le dissident) Liu Xiaobo» à 11 ans de prison, dit-il.

Maintenant, «les États-Unis essaient de montrer qu'ils sont une superpuissance. Ils tapent sur Taïwan et le Tibet à deux jours d'intervalle. Obama doit montrer que sa position initiale n'était pas une position de faiblesse. On est dans une espèce de poker».

«On va encore avoir des tensions pendant un certain temps», prédit-il.