Quelque 400 personnes sont mortes l'an dernier dans des attentats à la bombe à Peshawar. Cette grande métropole pakistanaise, située à proximité de la frontière afghane, est souvent ciblée par les talibans. Si bien que les démineurs de la ville sont littéralement devenus ses anges gardiens, nous raconte notre collaborateur.

Il est 10h à Peshawar. Au poste de police de Mashugagr, dans la banlieue de la ville, le téléphone sonne. À l'autre bout du fil, une voix: «De l'héroïne est cachée dans une voiture près du commissariat.» Flairant le piège, les policiers appellent la brigade de déminage.

 

Tanveer Khattak, directeur adjoint de cette brigade, fonce sur place. «Sous le siège arrière, plusieurs obus étaient reliés à un téléphone portable qui devait servir de détonateur. Mais il n'a pas fonctionné, raconte-t-il. Les portières, le réservoir et les roues étaient bourrés d'explosifs. De quoi faire sauter tout un quartier.»

Un long nez, le crâne dégarni qu'il dissimule par une mèche de cheveux noirs, Shafqat Malik, chef de l'unité, soupire. «En deux ans, les poseurs de bombe ont fait des progrès avec l'assistance d'Al-Qaeda. Avant, ils bricolaient une bombe avec une grenade. Mais depuis six mois, ils fabriquent des mines avec des explosifs militaires, déclenchées par des téléphones cellulaires. Comme les insurgés en Irak», souligne cet ancien militaire qui intervient sur tous les lieux frappés par un attentat pour inspecter les dégâts afin d'estimer le type et la quantité d'explosif utilisé.

L'an dernier, ses hommes ont désamorcé 1600 bombes et conduit des centaines d'enquêtes. Malgré cela, les 1,3 million d'habitants de Peshawar ne vivent pas une semaine sans attentat.

Un couteau et du sang-froid

Le bilan en 2009 a été terrible: 400 morts et 1000 blessés. Les talibans ont intensifié leurs attaques à partir de septembre, en représailles à une offensive de l'armée pakistanaise au Sud-Waziristan, une région à la frontière afghane d'où leur chef, Hakimullah Mehsud, attaque les troupes de l'OTAN en Afghanistan.

Les 125 démineurs de Peshawar n'ont qu'un brouilleur pour neutraliser les téléphones cellulaires, deux chiens renifleurs et trois combinaisons de protection qu'ils portent peu. Trop lourdes, trop encombrantes. Ils utilisent plutôt un couteau et leur sang-froid.

En un an, sept d'entre eux sont morts. Pas de quoi effrayer Khan Zada, 53 ans. Cheveux blancs courts, grosses lunettes et barbe blanche, il a des allures de père Noël. Démineur depuis 15 ans, il a désamorcé 200 engins. «Je gagne 17 000 roupies par mois (215 $) et ma femme est inquiète, mais j'aime ce métier. Le goût de l'adrénaline», sourit-il.

Liste noire des talibans

Le danger ne vient pas seulement des bombes. Les démineurs figurent sur la liste noire des talibans et Shafqat Malik a échappé à deux tentatives d'assassinat. Mais les menaces le font sourire.

Le 5 décembre dernier, un atelier de peinture qui stocke des produits chimiques explose sur University Road, une grande avenue de Peshawar. Deux cadavres sont extraits des décombres. Les autorités condamnent ce qu'elles croient être un attentat.

Lunettes noires, casquette et chandail Lacoste, Shafqat Malik arrive sur place et comprend que c'est un accident. Il le fait savoir lors d'une conférence de presse. Colère du voisinage qui l'insulte. Chacun espérait toucher le dédommagement que le gouvernement verse aux victimes du terrorisme. «Il n'y a pas que les talibans qui veulent ma peau, on dirait!» s'amuse-t-il avant de filer dans son 4x4.