De 200 millions à un milliard d'êtres humains pourraient être contraints de quitter leur terre à cause du réchauffement de la planète d'ici à la fin du siècle, selon certaines estimations. On les appelle les réfugiés climatiques. La situation préoccupante du sud-ouest du Bangladesh permet de mesurer l'urgence, la gravité et l'ampleur d'un phénomène mondial, nous explique notre collaborateur. Or, ces réfugiés pourraient bien être les oubliés de la conférence de Copenhague.

Petite personne à la peau très brune, Kajal Rani Mondol s'exprime les yeux baissés avec un filet de voix timide. On s'en étonne. La jeune fille, âgée de 17 ans, vient de passer deux heures sur scène, tantôt haranguant le public avec un porte-voix, tantôt assise derrière son harmonium.

 

Avec les acteurs et les musiciens de sa troupe, elle sillonne sa région, le sud-ouest du Bangladesh, pour tenter d'expliquer aux villageois pourquoi les digues érigées pour se protéger des grandes marées et des tempêtes sont de plus en plus souvent détruites. Pourquoi, aussi, de six saisons par année, on est passé à trois.

L'assistance attentive découvre, atterrée, le réchauffement climatique, son origine lointaine, ses conséquences multiples et, surtout, son irréversibilité.

À mi-voix, la jeune artiste évoque en entrevue son inquiétude profonde au sujet de la grande mangrove voisine, les Sundarbans, qui dépérit à vue d'oeil. «J'aime beaucoup cette forêt, ses oiseaux, ses arbres fruitiers, et il m'arrive souvent d'aller la contempler de la berge de la rivière qui la délimite. Je ne supporte pas l'idée de sa disparition.»

Ce sentiment est d'autant plus fort que Rani sait bien, depuis qu'elle donne son spectacle, que la mangrove constitue un rempart naturel contre les cyclones et la houle du golfe du Bengale. Cette formation végétale, partagée avec l'Inde, est d'ailleurs classée au patrimoine mondial de l'humanité par l'UNESCO.

S'adapter aux raz-de-marée

La destruction des Sundarbans est le dernier acte d'une tragédie commencée il y a 20 ans avec l'augmentation de la fréquence et de l'ampleur des raz-de-marée. Dans un premier temps, les habitants se sont progressivement adaptés en convertissant leurs rizières en élevages de crevettes.

Le changement n'a pas été sans conséquences sur l'environnement et la santé. Et si la population n'a pas encore massivement quitté la région, c'est en grande partie grâce aux ressources en bois, gibier, miel et poisson de la mangrove. Mais, chaque année plus nombreux, les braconniers contribuent à l'affaiblissement d'un milieu naturel unique et déjà très compromis par l'élévation du niveau de la mer.

Le point de rupture n'est pas loin et déjà, certains pêcheurs, ne trouvant plus de quoi nourrir leur famille, commencent à prendre le chemin d'une migration qu'ils espèrent momentanée. Le plus souvent vers Dacca, où ils rejoindront des exilés venus de tout le pays.

Pas une région du monde n'est épargnée par la pression nouvelle du réchauffement climatique. Ici sous forme de sécheresse, là d'inondations éclair, ailleurs par l'érosion accélérée liée à la fonte des glaciers himalayens...

Pour sa part, la capitale du Bangladesh, elle-même très exposée aux inondations, pourra difficilement accueillir les dizaines de millions de réfugiés annoncés. Dans ce pays déjà saturé (150 millions de personnes vivent sur un territoire équivalent à un dixième du Québec), la seule solution sera alors de se réfugier à l'étranger. Or, pour l'heure, l'Inde et la Birmanie, ses deux seuls voisins, ont bâti des frontières hermétiques.

Déplacement forcé

Le géographe bangladais Maudood Elahi est clair: «Les pays qui disposent de plus grands territoires vont devoir changer leur politique migratoire. Si on considère que le réchauffement climatique est un problème global, on doit chercher les solutions à ce problème de façon globale.»

Car la situation ne va pas s'arranger. Ni au Bangladesh, ni ailleurs dans le monde. «À l'avenir, les impacts des changements de fréquence et d'intensité des événements météorologiques extrêmes et ceux liés au niveau de la mer sont très susceptibles d'augmenter», explique Jean Jouzel, vice-président du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC).

Encore peu visible, cette crise planétaire pourrait se traduire d'ici au milieu du siècle par le déplacement forcé de centaines de millions de personnes et par la disparition de nombreuses cultures et langues autochtones.

Bien loin de Copenhague, Rani, la jeune musicienne bangladaise, sait bien ce qui l'attend quand elle aura été contrainte de quitter les paysages inspirants de son enfance pour Dacca ou, si on lui en donne la possibilité, pour un autre pays.

«Il faudra avant tout que je m'adapte, que je trouve un travail, je n'aurai plus de temps ni d'envie pour la musique, dit-elle. Et puis je serai inconnue: personne ne me demandera de chanter.» Une échéance qui s'est encore rapprochée, le 25 mai dernier, après que le cyclone Aila eut dévasté, une nouvelle fois, sa terre natale.

 

collectif argos

Donatien Garnier est membre du collectif Argos, un groupe de journalistes et photographes dont le travail a donné naissance au livre Réfugiés climatiques, publié en 2007. Sur le web: www.collectifargos.com