Un couple de réfugiés congolais attend depuis quatre ans que ses enfants viennent le rejoindre à Montréal. Manque de pot: le dossier est traité à l'ambassade du Canada à Nairobi, au Kenya, qui accuse des retards monstrueux.

Dans la chambre des enfants, les lits superposés n'ont pas encore été montés. Ils sont encore dans leurs boîtes de carton appuyées contre un mur. Sur une étagère, il y a des jeux de Monopoly, de Scrabble et de bataille navale.

Tout ce qui manque dans cette chambre d'enfant, ce sont... les enfants.

«Quand je vois une famille dans la rue, je me dis: pourquoi pas moi?» confie Chantal Nganseke Mbu d'une voix brisée.

Cette réfugiée politique de 43 ans n'en peut plus d'attendre. Elle a dû quitter son pays, la République démocratique du Congo, en 2005. Son mari, Alphonse Nsumba Balulame, l'attendait à Montréal. Le couple a reçu l'asile politique en décembre de la même année.

Dès que leur situation a été régularisée, Chantal et Alphonse ont entrepris les démarches pour faire venir leurs six enfants, restés à Kinshasa. Après un parcours du combattant dans les dédales de l'Immigration canadienne, ils ne savent toujours pas quand ils pourront voir leurs trois fils et leurs trois filles, maintenant âgés de 11 à 26 ans.

Ce n'est pas faute d'avoir remué ciel et terre. Mais leur dossier est une accumulation d'envois restés sans réponse, de demandes répétées de documents déjà fournis, quand il ne s'agit pas carrément d'erreurs.

En juin dernier, l'ambassade du Canada à Nairobi, où sont traités tous les dossiers congolais, a informé Chantal Nganseke Mbu que sa demande serait traitée dès qu'elle obtiendrait son statut de résidente permanente. Pourtant, elle possède ce statut depuis plus de deux ans!

Chaque nouveau délai crée de nouvelles embûches. Un exemple: les passeports congolais des six enfants sont arrivés à échéance en cours de route. Les parents ont dû jouer du coude pour les renouveler. Ce qui a créé des délais supplémentaires.

À un moment, Chantal et Alphonse étaient convaincus que tout était sur le point de se régler. Ils ont déménagé dans un appartement assez grand pour accueillir leurs enfants. Maintenant, ils tournent en rond dans ces pièces vides.

«Je suis une mère qui souffre, dit Chantal. Je pourrais mourir sans revoir mes enfants.»

Gros bureau

Chantal et Alphonse ne sont pas les seuls dans cette situation. L'ambassade de Nairobi dessert 18 pays africains. Et elle accuse des délais carrément «scandaleux» dans le traitement des demandes de visa, dénonce le Conseil canadien pour les réfugiés dans un rapport publié la semaine dernière.

Les agents d'immigration canadiens à Nairobi sont aux prises avec une charge de travail impossible. Et les demandeurs de visa, eux, subissent «des épreuves considérables sur les plans physique, économique et psychologique» en raison des très longues périodes d'attente, selon le Conseil.

La moitié des demandes de réunification familiale traînent pendant plus de deux ans, alors qu'elles se règlent en 14 mois dans l'ensemble des autres bureaux. Pour la réunification avec des enfants, il faut compter 25 mois. Ailleurs, c'est six mois.

Ottawa reconnaît que la situation aux bureaux de l'immigration de Nairobi est problématique. «Nous nous affairons à élaborer des solutions visant à réduire les délais de traitement», affirme Kelly Fraser, porte-parole du ministère de l'Immigration, dans un courriel envoyé à La Presse.

Mme Fraser explique la situation par le volume de dossiers à traiter, et aussi par les tensions politiques au Kenya, qui empêchent Ottawa d'envoyer du personnel temporaire pour désengorger le système.

«Le bureau de Nairobi n'a pas les ressources nécessaires compte tenu de sa tâche», confirme Janet Dench, du Conseil canadien pour les réfugiés. Mais ce bureau est aussi mal géré, selon elle, ce qui explique les pertes de dossiers, par exemple.

Et puis, selon Mme Dench, il y a aussi une question d'attitude. Ce sont les agents d'immigration de Nairobi qui avaient refoulé la Canadienne Suaad Hagi Mohamud, soupçonnée d'usurpation d'identité. Janet Dench n'est pas étonnée que cet incident se soit produit précisément à l'ambassade du Canada au Kenya. «Il y règne un véritable climat de suspicion», dit-elle.

En attendant qu'Ottawa mette de l'ordre dans cette ambassade, Chantal et Alphonse envoient une bonne partie de leurs salaires à leurs enfants. Et ils meurent d'inquiétude.

La violence est omniprésente à Kinshasa. «Nos enfants sont des ados, on ne sait pas à quoi ils peuvent être mêlés», dit Chantal.

Elle se démène depuis trois ans pour que ses enfants la rejoignent dans son logement du quartier Hochelaga-Maisonneuve. Jusqu'à maintenant, chaque nouvel espoir l'a conduite à un mur.