Au téléphone, il n'ose plus donner son prénom. Il s'en tient à son nom de famille: M. Kessous, «Ça passe mieux: on n'imagine pas que le reporter est rebeu (arabe)», racontait hier ce journaliste du quotidien français Le Monde, dans un long récit à la première personne sur le racisme ordinaire en France.

M. Kessous, Mustapha de son prénom, a beau être journaliste depuis près de 10 ans, il subit toujours le racisme associé à son prénom arabe et sa peau basanée. «Certains n'hésitent pas à appeler (la rédaction) pour signaler qu'un Mustapha se fait passer pour un journaliste du Monde!»

 

La sortie du reporter survient deux semaines après les propos controversés du ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, à l'endroit d'un militant politique d'origine arabe. «Il en faut toujours un, dit le ministre, en parlant du militant. Quand il y en a un, ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes.»

Mustapha Kessous dit avoir lui aussi goûté à «l'humour» du ministre Hortefeux en 2008. «Brice Hortefeux arrive, me tend la main, sourit et lâche: «Vous avez vos papiers?»»

Des lecteurs «atterrés»

Difficultés à parler avec des Français lors de reportages, perplexité quant à son identité («À plusieurs reprises, arrivant pour suivre un procès pour le journal, je me suis vu demander: "Vous êtes le prévenu?"»), attitude méprisante de propriétaires lors d'une visite d'appartement, portiers qui lui barrent l'entrée des bars...

«Que dire de la police? Combien de fois m'a-t-elle contrôlé (...), plaqué contre le capot de la voiture en plein centre-ville, fouillé jusque dans les chaussettes (...)?»

En après-midi hier, le récit de Mustapha Kessous avait suscité plus de 400 commentaires de lecteurs. Plusieurs, qui se décrivent comme «Blancs» et «Français», se disent «atterrés» ou «désolés» par ce qu'ils ont lu. D'autres considèrent que le journaliste donne dans la «victimisation» et doutent «de la véracité des faits».

Mais le témoignage de M. Kessous n'étonne pas Zouhir Bahammou, post-doctorant à la chaire de recherche en immigration de l'UQAM. Au Canada, souligne-t-il, le taux de chômage chez les Maghrébins est plus élevé que chez les Noirs et les Latino-Américains. «Depuis le 11 septembre 2001, c'est plus difficile parce qu'ils sont musulmans et arabes. Et en France, c'est pire à cause de l'histoire coloniale et de la guerre d'Algérie», estime le chercheur qui s'intéresse à l'immigration marocaine.

La sortie de M. Kessous incitera-t-elle d'autres immigrants à dénoncer publiquement le racisme «ordinaire» dont ils sont victimes? Il faudra voir, croit M. Bahammou. «En 2005, il y a eu des émeutes dans les cités parisiennes, rappelle-t-il. La situation ne s'est pas vraiment améliorée. Sur certains points, elle s'est encore dégradée.»