Dans le pays le plus dangereux du monde, les shebabs imposent leur islamisme radical jusqu'aux portes de la capitale. Malgré un raid américain réussi lundi pour tuer l'un des terroristes les plus recherchés en Somalie, toute intervention étrangère doit être minutieusement dosée, pour éviter que les shebabs ne prennent du galon.

Le kényan Saleh Ali Saleh Nabhan a été tué lundi avec d'autres combattants shebabs dans le sud de la Somalie, dans une zone contrôlée par ces militants islamistes ouvertement liés à Al-Qaeda. L'attaque ciblée -des hélicoptères américains ont attaqué le convoi- aurait été préparée pour limiter les pertes civiles et éviter d'alimenter la colère de la population.

 

Car Al-Shebab, la «jeunesse», a su se nourrir du nationalisme somalien contre l'envahisseur. Pour sortir le pays du chaos dans lequel il était plongé à la fin des années 90 - après le départ des Américains et des soldats de l'ONU -, des organisations islamistes se sont unies autour de l'Union des tribunaux islamiques, qui allait plus tard donner naissance à Al-Shebab.

«L'Union n'avait pas d'ambition politique», dit Ahmed Hussein, le président du Congrès Somalie-Canada. « Elle ne visait qu'à instaurer partout la loi et l'ordre pour que les gens soient en sécurité.»

Popularité

L'Union est devenue «très populaire» à Mogadiscio et dans les régions du Sud, où elle était présente. Les Américains, inquiets de ce pouvoir islamiste, ont alors financé des seigneurs de guerre pour combattre l'Union. Mal leur en a pris: la population s'est rangée du côté de l'Union, qui en est sortie plus forte. En juin 2006, elle prenait le pouvoir à Mogadiscio. Pendant les six mois suivant, la capitale allait connaître un calme relatif.

À ce moment, Al-Shebab n'était qu'une faction de l'Union, précise M. Hussein. Des combattants radicaux, mais pas encore les «fous» qu'ils allaient devenir. «Plusieurs combattants ont alors commencé à se sentir trop confiants, invincibles, idéalistes», explique Grant Dawson, auteur d'un livre sur l'engagement canadien en Somalie, aujourd'hui rattaché à l'Université Aberystwyth, au Royaume-Uni.

Encore plus radicaux

En 2007, l'Éthiopie, appuyée par les États-Unis, envahit la Somalie pour y chasser l'Union des tribunaux islamiques. L'Union ne fait pas le poids face à l'armée éthiopienne. «Al-Shabab se disperse, mais ne disparaît pas, dit M. Dawson. Ses combattants deviennent encore plus radicaux.»

Aujourd'hui, l'actuel gouvernement somalien, qui a conclu une alliance avec l'Union des tribunaux islamiques, « ne contrôle plus rien», ajoute M. Dawson, si ce n'est une enclave de la capitale gardée par des soldats des forces de l'Union africaine. Par ailleurs, une intervention étrangère en sol somalien risque de renforcer l'appui aux shebabs, précise Grant Dawson. «Cela pourrait les pousser vers le terrorisme, les convaincre qu'il s'agit de la solution.»

Plus inquiétant encore est l'afflux d'étrangers, venus d'Afghanistan, du Pakistan et même de Grande-Bretagne, soulignait The Independent dimanche dernier, qui viennent combattre aux côtés des shebabs somaliens. « Les shebabs sont liés à Al-Qaeda», dit Ahmed Hussein, et promettent de se battre jusqu'au bout pour avoir une Somalie islamiste. Et la population ? «Lorsque les shebabs arrivent, la population est soulagée parce qu'ils mettent de l'ordre, ajoute-t-il, mais rapidement, on se met à les haïr quand ils imposent leur vision.»