«Neda est morte les yeux ouverts. Nous devons nous aussi continuer de les garder ouverts.» C'est dans ces mots qu'un poster invitait hier les Iraniens à braver le régime islamique et à descendre dans les rues de Téhéran pour souligner le 40e jour suivant la mort de Neda Agha-Soltan.

Le mois dernier, les images de l'assassinat de la jeune femme de 26 ans, captées en pleine rue par des caméras, ont fait le tour du monde et galvanisé les manifestants, qui dénoncent la fraude entourant les élections présidentielles iraniennes du 12 juin.

 

Selon la tradition chiite, la mémoire d'un mort doit être honorée après 40 jours. Mardi, les autorités iraniennes ont annoncé par l'entremise de l'agence de presse Fars qu'elles n'autoriseraient pas de rassemblement pour souligner la disparition de Neda.

Pour contourner l'interdiction, le leader du camp réformiste iranien et candidat défait aux élections présidentielles, Mir Hossein Moussavi, a annoncé qu'il se rendrait sur la tombe des victimes demain. Il priera aussi à la mémoire des autres disparus des dernières semaines, dont le nombre est estimé à 30 par les autorités et à 200 par l'opposition.

Plusieurs des supporters de M. Moussavi ont fait circuler hier sur le Web des invitations à manifester. Un rassemblement serait prévu dans la capitale à 18h, heure de Téhéran.

Professeur de science politique au Collège royal militaire de Kingston, Houchang Hassan-Yari suit de près l'évolution du mouvement de contestation en Iran. Selon lui, l'opposition est encore très active et multiplie les moyens d'exprimer son mécontentement. «Il y a quelques jours, un appel a été lancé pour que les gens mettent en marche leurs appareils ménagers à la même heure pour faire flancher l'électricité. Ça a fonctionné», notait hier Houchang Hassan-Yari.

Procès annoncé

Le nouveau bras de fer entre le mouvement d'opposition et le régime islamique survient alors que l'agence de presse officielle iranienne, l'IRNA, a annoncé hier que 20 personnes seront jugées dès cette fin de semaine pour leur implication dans les manifestations.

La liste des accusés n'est pas connue, mais les accusations, elles, ont été rendues publiques. Les prévenus seront notamment accusés d'appartenir à des groupes terroristes, d'avoir eu des armes en leur possession et d'avoir envoyé des images aux médias étrangers. L'IRNA précise que «ceux qui ont ordonné les troubles postélectoraux» seront jugés plus tard.

«Le scénario est clair. Le régime veut décapiter le mouvement d'opposition. On va probablement accuser quelques personnes d'avoir tout manipulé. On tentera ainsi de minimiser l'ampleur du mécontentement de la population iranienne», estime M. Hassan-Yari.

Cette semaine, 140 des 2000 personnes appréhendées pendant les manifestations ont été relâchées à la demande du président Mahmoud Ahmadinejad. Cependant, les autorités estiment que 200 autres sont toujours en prison. Parmi elles, un peu plus de 50, tous des membres bien connus du camp réformiste - politiciens, journalistes et intellectuels - sont toujours détenues. «Le directeur de la prison d'Evin (où sont la plupart des prisonniers politiques) ne sait même pas où ils sont. Des membres du Parlement ont visité les prisonniers et ils n'ont pas réussi à les voir», a dit hier à La Presse Omid Memarian, ancien prisonnier politique qui travaille ces jours-ci pour Human Rights Watch.

L'organisation de défense des droits de l'homme s'inquiète tout particulièrement pour Saeed Hajjarian, un réformiste de renom. L'homme de 55 ans aurait subi de violents interrogatoires et serait dans un état critique, selon sa femme, qui a réussi à lui rendre visite. Hier, le ministre de la Justice aurait ordonné sa libération, mais sa famille n'aurait toujours pas reçu de ses nouvelles.

 

LA PRISON DE TOUTES LES TORTURES

Human Rights Watch (HRW) demande une enquête sur des violations des droits de l'homme dans la prison iranienne de Kahrizak. Des Iraniens qui y ont été détenus ont raconté aux médias y avoir été témoins de séances de torture. Selon ces témoins, des gardes y auraient battu des prisonniers à mort, arraché les ongles d'autres ou encore ordonné à certains de laver les toilettes avec leur langue. Cette semaine, le guide suprême de la République islamique, l'Ayatollah Ali Khamenei, a ordonné la fermeture de cette prison, expliquant que les droits des détenus n'y ont pas été respectés. «Mais fermer une prison, ce n'est pas assez. Il faut traduire en justice ceux qui ont pratiqué la torture «, laidait hier Omid Mermarian, de HRW.

Avec l'AFP, l'IRNA, l'AP, la BBC