Une rupture. Voilà comment on peut résumer le discours que Barack Obama a livré hier au Caire. Le président américain s'est clairement éloigné de la politique étrangère de son prédécesseur, particulièrement à propos du monde musulman. Il reste à voir comment il passera de la parole aux actes.

Il a dit quelques mots en arabe et a cité le Coran trois fois plutôt qu'une. Il a évoqué la beauté du muezzin, l'appel musulman à la prière. Il a souligné le passé civilisateur de l'Islam et les blessures que le colonialisme occidental a infligées aux musulmans.

 

Puis il a parlé de l'humiliation des Palestiniens condamnés à l'occupation israélienne. Du rôle que les États-Unis ont joué, dans le passé, dans le renversement d'un gouvernement démocratique à Téhéran. Et du droit de tous les pays, y compris l'Iran, d'utiliser l'énergie nucléaire à des fins civiles.

Très attendu, le discours de 50 minutes que le président Barack Obama a livré hier au Caire a marqué une nette rupture avec la rhétorique américaine des dernières décennies. Riche en symboles, l'appel au dialogue était cependant peu spécifique quant aux orientations politiques concrètes de Washington.

S'il a reçu un bon accueil à Kaboul, Bagdad, Beyrouth ou Ramallah, le discours présidentiel y a aussi soulevé de nombreuses réserves. Et une grande question: maintenant que les mots ont changé, qu'en est-il des actions?

«Je considère comme une de mes responsabilités de combattre les stéréotypes négatifs à l'égard de l'Islam, où qu'ils se manifestent», a assuré le président Obama.

«Aussi longtemps que notre relation est définie par nos différences, nous donnerons des armes à ceux qui sèment la haine plutôt que la paix», a-t-il aussi lancé aux musulmans de la planète.

Avant d'ajouter: «Ce cycle de suspicion et de discorde doit se terminer.»

Formulation c. substance

Sur la question cruciale du Proche-Orient, Barack Obama a assuré Israël du lien «indestructible» qui l'unit aux États-Unis. Mais il a aussi souligné la «douleur» des Palestiniens et a appelé l'État hébreu à cesser de coloniser la Cisjordanie. Et il s'est engagé personnellement à travailler pour la seule issue susceptible, selon lui, de clore ce conflit vieux de six décennies: la création d'un État palestinien aux côtés d'Israël.

Mais des analystes se sont dits déçus qu'il n'ait pris aucun engagement précis sur la marche à suivre pour en arriver là. «George W. Bush parlait lui aussi de la solution de deux États, mais avec quels pouvoirs? Sur quel territoire? Obama n'en dit rien», a déploré hier Rachad Antonius, politicologue de l'UQAM - qui soulignait quand même la «haute valeur symbolique» du discours.

Cette partie cruciale du discours présidentiel a été accueillie avec satisfaction, mais aussi avec une dose de scepticisme au Proche-Orient.

Un porte-parole du président palestinien Mahmoud Abbas a parlé d'un «pas important vers un nouveau commencement». Idem pour le gouvernement israélien, qui a dit espérer l'avènement d'une ère de réconciliation. Mais en même temps, le premier ministre Benyamin Nétanyahou persiste et signe: il ne veut pas freiner l'expansion des implantations juives en Cisjordanie. Et le Hamas ne se précipite pas non plus pour reconnaître son voisin hébreu.

Autrement dit, si le diable est dans les détails, le discours de Barack Obama lui laisse encore un grand champ d'action.

«Le président a marqué plusieurs bons points, en comparant le Coran avec la Bible et la Torah par exemple», a noté Rami Khouri, professeur de l'Université américaine du Caire cité hier par CNN.

«C'est un grand geste, je lui donne A" pour la formulation, mais C" pour la substance», a-t-il résumé.

«Barack Obama a dit que l'Islam ne se situe pas hors du monde civilisé, mais en fait partie intégrante. Ce sont des propos extrêmement significatifs, ils ont fait chaud au coeur de nombreux musulmans dans le monde», a dit Khalid Mustafa Medani, politicologue à l'Université McGill. «Mais est-ce que cela signifie que dorénavant, il va agir vigoureusement pour amener les acteurs du conflit israélo-palestinien, y compris le Hamas, à discuter ensemble?» s'est-il demandé, ajoutant que c'est ce genre d'initiative que le monde attend aujourd'hui.

Réactions

Il reste qu'au-delà de ces réserves, Barack Obama a marqué plusieurs précédents dans la rhétorique présidentielle américaine. Le seul fait d'admettre que le Hamas est le représentant légitime d'une partie du peuple palestinien marque un virage majeur.

Ce mouvement qui contrôle la bande de Gaza a d'ailleurs exprimé des réactions étonnamment positives au discours présidentiel. Ce discours «marque une percée», a dit un conseiller d'Ismail Haniyeh, ex-premier ministre du Hamas, particulièrement heureux des références aux souffrances des Palestiniens. Tout en tendant la main aux musulmans, Barack Obama les renvoyait aussi à leurs propres responsabilités et leur demandait de collaborer au combat contre «les extrémistes qui menacent gravement notre sécurité».

Ce n'est pas acquis, selon le politicologue québécois Sami Aoun. «Reste à voir si les élites et les pouvoirs dans le monde musulman iront à la rencontre de cet appel au dialogue», a-t-il noté.

Enfin, Barack Obama n'a pas non plus oublié de s'adresser aux minorités musulmanes établies aux États-Unis. Et à défendre leur liberté de pratiquer leur religion et leurs coutumes, y compris dans leur manière de se vêtir.

«Je rejette l'opinion de ceux parmi les Occidentaux qui croient qu'une femme qui couvre sa tête est d'une certaine façon moins égale», a-t-il clamé, soulignant que l'égalité tient davantage à l'éducation qu'au port du voile islamique.

«Le mot-clé de ce discours, c'est: respect», résume le professeur Khalid Mustafa Medani.