Il y a deux mois, La Presse vous racontait l'histoire d'Izzeldine Abuelaish, ce médecin pacifiste qui a vu trois de ses filles se faire tuer par un missile israélien dans la bande de Gaza. Cette semaine, son nom a été retenu dans la liste des candidats au prochain prix Nobel de la paix. Aujourd'hui, il s'apprête à s'établir à Toronto, le temps que les cinq enfants qui lui restent oublient un peu l'horreur de la guerre. Mais son histoire est aussi celle d'une rencontre improbable, comme seules les guerres peuvent en produire.

Il y a quelques jours, le Dr Izzeldine Abuelaish donnait une conférence à des médecins de Toronto. Dans l'assistance, ils étaient nombreux à essuyer leurs larmes.

 

«Ce n'est pas tous les jours qu'on voit des gens pleurer pendant une conférence médicale», s'étonne Peter Singer, l'un des organisateurs de l'événement.

Izzeldine Abuelaish est ce médecin palestinien qui a perdu trois filles et une nièce dans un bombardement à Gaza. Ses cris de douleur, entendus en direct à la télévision israélienne, avaient marqué un tournant dans le cours de l'offensive contre la bande de Gaza, cet hiver.

Peter Singer est médecin lui aussi. Il enseigne à l'Université de Toronto. C'est un Juif canadien dont les parents ont survécu à l'Holocauste. Il n'avait jamais entendu parler d'Izzeldine Abuelaish avant de lire le courriel d'un ami sur son BlackBerry, un jour de janvier, alors que la guerre faisait rage dans la bande de Gaza.

«Peux-tu aider cet homme à sortir sa famille de Gaza?», demandait l'ami.

«J'ai reçu ce message un vendredi. Parfois, on fait face à des choix incontournables. Avec mon collègue Abdallah Daar, nous avons préparé une offre qui était prête le lundi suivant», raconte Peter Singer.

La famille Abuelaish était justement en train de discuter de ses plans au Canada quand les missiles ont frappé sa maison du camp de réfugiés de Jabaliya, près de la ville de Gaza. «Elles sont mortes, elles sont mortes, mais qu'avons-nous fait?», a sangloté le Dr Abuelaish à l'ami journaliste qu'il a joint sur un plateau de télévision. Cette scène insoutenable avait créé une commotion dans l'opinion publique israélienne.

L'espoir jusqu'à la fin

À Toronto aussi, il y a eu tout un choc. «Notre plan de sauver la famille Abuelaish avait échoué, se désole le Dr Singer. Mais notre offre de poste à l'Université de Toronto tenait toujours.»

Il aura fallu trois autres mois avant que le Dr Izzeldine Abuelaish n'arrive à Toronto, pour préparer sa venue au Canada avec les cinq enfants qui lui restent.

Quand je l'ai joint au téléphone, cette semaine, il faisait preuve de la même force de caractère qu'il avait manifestée lors de notre rencontre dans un hôpital de Tel Aviv, en février, où il veillait sur une autre de ses filles, blessée à l'oeil.

Trois mois après qu'un éclair blanc eut traversé sa maison et déchiré sa vie, sa voix tremble toujours quand il évoque le souvenir de ses trois filles perdues. Bissan, 21 ans. Mayar, 15 ans. Et Aya, 14 ans. Mais en même temps, cet homme qui continue à soigner Israéliens et Palestiniens refuse de se laisser aller à la haine. Même si rien n'a changé à Gaza. Même si les gens y luttent toujours pour faire entrer le moindre sac de ciment et réparer leurs maisons dévastées.

«Les médecins se doivent de garder espoir jusqu'à la fin», dit-il.

Un Nobel?

Cette semaine, le médecin gazaoui a été accepté comme candidat au prochain prix Nobel de la paix. «Il a toujours travaillé pour la paix», s'est réjoui le ministre israélien des minorités, Avishay Braverman, en apprenant la nouvelle.

Pour Izzeldine Abuelaish, cette nomination inattendue est une autre preuve que rien n'est impossible. Que tout peut arriver. Y compris le meilleur.

Pour les deux médecins qui ont fait venir le Dr Abuelaish à Toronto, l'homme représente un symbole d'espoir et de paix. En dépit de la tragédie qui l'a frappé un jour de janvier 2009. Ou peut-être à cause de cette tragédie.

«Malgré le drame inimaginable qu'il a vécu, il est dépourvu de colère, il n'a pas abandonné son désir de réconciliation», s'émerveille Peter Singer.

«La plupart des gens seraient amers après un tel événement, note Abdallah Daar. Lui, il transforme sa tragédie en un outil de paix.»

Les deux médecins torontois lancent, chacun leur tour, la même question: et moi, qu'aurais-je fait si j'avais perdu un seul de mes enfants?

Originaire de Tanzanie, arabe et musulman, Abdallah Daar se sent lui aussi personnellement concerné par cette guerre qui n'en finit plus au Proche-Orient.

«La rencontre avec Izzeldine Abuelaish m'a redonné espoir dans la possibilité de la paix», dit Abdallah Daar. Un espoir qui recevrait une nouvelle dose de vitamines si jamais cet «agent de la paix» devait obtenir le prix Nobel.